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académies romaines étaient plutôt des écoles que des associations, et, si l’on en juge d’après quelques mots de Tacite, elles exercèrent sur les mœurs publiques une désastreuse influence, en substituant à l’éducation par la famille l’éducation par les rhéteurs et les pédans.

Quant à nous, enfans de ces Gaulois que le dieu de l’éloquence conduisait attachés par l’oreille avec des rênes d’or, c’est à l’empereur Claude que nous devons l’importation des cercles et des concours académiques. On sait que, pour se distraire des soins du gouvernement et de ses mésaventures conjugales, ce maître hébété de l’empire ouvrit à Lyon des combats de rhétorique où les vaincus devaient effacer avec leur langue toutes les phrases mal sonnantes, sous peine d’être jetés dans le Rhône. La gloire du triomphe ne compensant point les désagrémens de la défaite, ces luttes furent accueillies avec peu de faveur ; bientôt les invasions barbares firent oublier la rhétorique, et il faut attendre jusqu’à Charlemagne pour retrouver dans la Gaule les traces d’une académie. Quoi qu’on ait dit à la gloire du grand empereur, et bien que lui-même scandât fort agréablement le vers latin, comme le témoigne un fragment poétique récemment découvert, les écrits du savant Alcuin, un des astres de la pléiade carlovingienne, permettent de penser que l’académie palatine n’eut jamais, au point de vue intellectuel, qu’une importance fort secondaire.

Jusque-là l’académie avait été chose princière ; mais la révolution du mile siècle, en appelant les bourgeois à la liberté, en leur donnant le droit de posséder pour eux-mêmes, de s’associer et de penser autant qu’on le pouvait faire alors, éveilla en eux l’instinct des distractions de l’esprit, et il se forma au sein des corporations industrielles des associations poétiques qui contribuèrent, autant que les jeux scéniques, les pèlerinages et les processions, à distraire nos aïeux au milieu des maux sans nombre, pestes, guerres ou famines, qui pesèrent sur le moyen-âge. À côté de ces associations brutales ou grotesques, cornards, turlupins, bandes joyeuses de l’abbé Maugouverne, qui bafouaient, tous les scandales ou parodiaient toutes les choses respectées, se formèrent des confréries de Notre-dame du Puy, du Palinod, de la fosse aux ballades, véritables académies municipales où l’on chantait les louanges de la Vierge et les histoires des seigneurs Anchiens. On n’a guère remarqué et cité que les jeux floraux ; mais, sous d’autres noms et avec moins d’apparat, bien des villes du nord avaient des institutions pareilles. Toulouse donnait des fleurs ; dans le nord, on donnait du vin clairet, des alouettes d’argent, et nous avons vu, dans un vieux registre d’échevinage, l’une de ces pièces honorées de la couronne municipale ou le vainqueur comparait la comtesse d’Artois à la vierge Marie, en lui souhaitant, avec une grace infinie et dans le plus doux langage, autant d’années de fraîcheur et de beauté qu’il pouvait entrer de bouquets de roses dans la chapelle de la reine des anges.

Du reste, en France, les associations littéraires du moyen-âge n’ont exercé qu’une très faible influence sur la marche des idées, sur les progrès de la langue. Sous ce rapport, l’Italie nous a singulièrement devancés. Dès le XVe siècle, les savans de la péninsule se réunirent, sous les titres les plus bizarres, pour travailler au perfectionnement de l’idiome national, discuter les plus hautes questions de la philosophie, rechercher et mettre en lumière les écrivains de l’antiquité. Bologne avait dix-huit académies, Rome en avait seize. Naples huit, Milan vingt-cinq,