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fait songer aux anciens, qui plaçaient Esculape dans le temple des muses. Quelques bulletins, quelques comptes-rendus de séances solennelles, publiés à de longs intervalles, sont les seuls témoignages d’activité littéraire qu’aient donnés les Enfans d’Apollon et les Bergers de Syracuse.

Ces deux sociétés n’ont du moins pas dégénéré, elles sont fidèles à leur passé le plus naïf ; mais, hélas ! que sont devenues la littérature et la poésie à l’Athénée des Arts ou à l’Athénée royal ? Ouvrons, pour répondre à cette question, le programme de l’une des séances annuelles de l’Athénée des Arts, séances qui se tiennent d’ordinaire à l’Hôtel-de-Ville, dans la salle Saint-Jean, et qui l’embellissent d’un concert vocal et instrumental. Que trouvons-nous en fait de poésie ? Des épîtres philosophiques sur le bonheur que procure l’étude, quelques petites chansons imperceptiblement badines, des stances au laurier planté par Jean-Jacques dans l’Ermitage à Montmorency, des odes sur les chemins de fer eu sur le daguerréotype, attendu que c’est par le côté industriel que la poésie à l’Athénée des Arts se rallie au mouvement du siècle. Du reste, l’Athénée est satisfait de lui-même, et on voit dans les comptes-rendus des travaux que les poètes qui concourent à embellir les réunions se distinguent tous par la pureté de leur style, que les moralistes ont toujours l’esprit fin et observateur, que les recherches des érudits sont toujours laborieuses, enfin que les personnes qui font les lectures publiques lisent toujours avec une suavité d’organe et une voix d’apparat qui prêtent un nouveau charme aux compositions qu’elles sont chargées de transmettre. Les complimens sont clichés, pour ainsi dire ; ainsi, il y a trois ans, la plume de Mme A. était spirituelle et facile ; l’année dernière, cette plume était affectueuse et tendre ; enfin, cette année, la même plume est gracieuse et fine. On aurait tort cependant de se montrer sévère, car, dans un temps où les lettres sont devenues pour le grand nombre une spéculation mercantile, on doit de l’indulgence, sinon des éloges, à ceux qui les cultivent pour elles-mêmes, aux modestes ambitions qui se contentent d’une gloire inédite.

L’Athénée royal, qui tient ses séances dans la rue de Valois, a suivi également cette voie de décadence ; il a reculé, quand tout marchait autour de lui, et certes on est aujourd’hui bien loin du temps où La Harpe, Chénier, Lemercier, Victoria Fabre, y professaient des cours de belles lettres ; on est même bien loin du temps où M. Jules Janin y racontait l’histoire du journalisme en France. Malgré le protectorat de M. de Castellane, le Richelieu de cette contrefaçon de l’Institut, l’Athénée, qui est tout à la fois un cabinet de lecture, une académie et une école, ne se soutient guère que par la curiosité oisive des rentiers désœuvrés. C’est là que se réfugient ces auditeurs somnolens qui vont chercher dans les cours publics le pain quotidien de l’intelligence, et si parmi les professeurs il se rencontre quelques hommes vraiment distingués qui parlent pour s’exercer à la parole, on y trouve le plus souvent les enfans perdus des théories hasardées de l’économie politique, du droit, de l’histoire, de la science et de la littérature. Le magnétisme, la phrénologie, le fouriérisme, l’homoeopathie, le progrès humanitaire, toutes choses qui se valent, ont là leur tribune, et chacun est admis à émettre ses idées, à contredire celles des autres. A la Sorbonne, au Collège de France, ce sont les professeurs qui enseignent ; à l’Athénée, outre l’enseignement des professeurs, il y a celui du public, et c’est là ce qui fait en grande partie l’originalité des séances. Les sujets les plus opposés, les plus fantastiques même, se heurtent