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comme des farfadets dans une ronde du sabbat. On comparait hier Fourier et Jésus-Christ ; on comparera demain Dante et Hegel. On étudie la cranioscopie dans ses rapports avec le droit, la théorie des ressemblances, les sources du bonheur, la valeur de la couleur dans le règne organique, la folie considérée comme désharmonie des fonctions de l’encéphale, les origines des nationalités, l’esprit des grammaires, etc. Les discussions prennent souvent une animation singulière, et s’embellissent encore de toute la mise en scène de l’antique argumentation, des éclats de voix, des attitudes pythiques, de la mimique passionnée, quelquefois nième de la colère. Du reste, il faut le dire pour l’honneur de l’institution, les professeurs ne sont point rétribués, et les assistans paient une cotisation annuelle, ce qui prouve des deux côtés un grand dévouement et une certaine abnégation.

De tout ce que nous venons de dire, il résulte jusqu’à l’évidence que ce n’est point la littérature qui est en voie de progrès dans les cercles littéraires, et, s’il fallait chercher une cause à cette décadence, on la trouverait, sans aucun doute, dans l’esprit de mercantilisme et d’exploitation industrielle qui envahit chaque jour le monde des écrivains ; on la trouverait dans la Société des gens de lettres et la Société des auteurs dramatiques : la première de ces associations compte trois cent vingt associés, dont vingt-et-une femmes, et jamais, on peut le dire, agens d’affaires ou commerçans n’ont apporté dans le négoce un esprit plus positif, une préoccupation plus grande des bénéfices. Quand les écrivains du vieux temps se réunissaient, c’était pour discuter des questions d’art, pour se faire mutuellement leurs confidences littéraires ; ici tout disparaît entièrement devant Barème. Il n’y a plus bureau d’esprit, mais bureau de recette ; les produits de la pensée sont tarifés comme les marchandises dans une boutique. La Société des gens de lettres est uniquement une commandite d’exploitation, où, sans s’inquiéter de la valeur des produits, on s’attache, le code de commerce à la main, à prélever des droits d’auteur au taux le plus élevé qu’il est possible d’atteindre. Les œuvres collectives sont une sorte d’entrepôt où viennent s’approvisionner, moyennant escompte, les journaux de la province, qui sont à la recherche de romans tout faits ; mais le public, à qui l’on promettait des chefs-d’œuvre, pouvait espérer légitimement quelque chose de mieux que Babel, et, en ressuscitant la corporation du moyen-âge, il fallait au moins se souvenir des gardes jurés, et prononcer l’amende contre ceux qui débitaient des marchandises mauvaises. C’était là un moyen fort simple d’enrichir la caisse.

La Société des auteurs dramatiques est, s’il se peut, plus fiscale encore. C’est une coalition dans la plus stricte acception du mot. La pensée première de l’association appartient à Beaumarchais, qui fut, on le sait, homme d’affaires autant qu’homme d’esprit, mais qui, nous aimons à le croire, eût reculé devant sa propre idée, s’il eût pu en deviner les conséquences. C’est en 1811 que l’association, jusqu’alors à l’état d’ébauche, s’organisa plus régulièrement. Enfin, en 1829, fut fondée la société actuelle, qui se constitua, dès 1837, en société civile. À cette époque, le nombre des signataires était de 220 ; l’aimée suivante, en 1838, il fut porté à 305. Aujourd’hui la société compte 462 membres. Qui se douterait que la France a le bonheur de compter dans son sein 500 écrivains qui consacrent leurs veilles à la gloire du théâtre ? Sous prétexte de protéger et de secourir les auteurs dramatiques, la société tyrannise les administrations théâtrales. Outre le droit exorbitant qu’elle prélève sur les recettes, elle s’attribue une part dans les