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ce progrès n’est pas moins réel et sérieux, et, pour en faire apprécier l’importance, il suffit d’un seul exemple. L’édition du Vendidad, sadé, donnée par M. Eugène Burnouf à l’imprimerie royale, sert aujourd’hui de modèle aux éditions faites dans l’Inde pour le service du culte, et ainsi c’est un professeur du Collège de France, un membre de la Société asiatique de Paris, qui donne aux sectateurs de Zoroastre le texte le plus orthodoxe de leurs livres sacrés. L’Allemagne elle-même aurait peine à citer un pareil triomphe philologique.

La Société orientale, tout en s’occupant comme la Société asiatique des langues, de l’histoire, de la littérature et des sciences, s’est posé un but plus pratique, et pour ainsi dire plus vivant. Tandis que la Russie et l’Angleterre étendaient leur influence, l’une par le schisme, l’autre par le commerce, la France se devait à elle-même de prendre son rang de bataille dans cette croisade nouvelle. Au point de vue de la diplomatie, c’est un droit, disait il y a quelques années à la tribune un orateur célèbre ; au point de vue de la civilisation, c’est un devoir, se sont dit quelques amis fervens du progrès universel, et la Société orientale a été fondée pour activer cette propagande catholico-française, qui, malheureusement, a vu trop souvent ses intérêts compromis par ceux même qui pensaient les servir le plus efficacement. Sans doute, on n’a pas réalisé toutes les promesses du programme, et nous sommes encore loin de ces temps, annoncés par un prophète humanitaire, où les descendans de Mahomet chanteront la messe dans les murs à jamais purifiés de la mosquée de Sainte-Sophie ; mais, si minimes que soient les résultats, on ne saurait les contester entièrement. Les travaux des sociétés savantes ont souvent éveillé l’attention de la diplomatie. L’œuvre française du mont Carmel est devenue, pour les chrétiens de l’Asie, ce que les comités libéraux de la restauration ont été pour les Grecs opprimés, et il est si difficile de faire un peu de bien, surtout à de grandes distances, qu’à défaut de succès importans il faut du moins tenir compte des bonnes intentions. L’Orient lui-même s’est ému, et, en 1841, il s’est formé à Smyrne une société d’Arméniens dite des Suris, qui a pour but de propager dans la Turquie d’Asie les sciences et la civilisation européennes. Protégée par le sultan Abdul-Medjid et Reschid-Pacha, cette académie publie un journal intitulé Archaloïs Aradion (l’Aurore d’Ararat), et le gouvernement turc s’est montré tout-à-fait au niveau des gouvernemens de notre vieille Europe en encourageant cette publication par des souscriptions importantes.

Il est encore une société que nous devons mentionner ici, bien qu’elle ne figure pas dans l’Annuaire : nous voulons parler de la Société maritime. Le moindre inconvénient de cette compagnie, dont les travaux ont pour but une spécialité tout-à-fait distincte, c’est d’être en grande partie composée d’hommes étrangers à cette spécialité même. Quelques officiers de marine figurent, il est vrai, sur la liste des membres, mais la plupart s’abstiennent de participer aux travaux, et se contentent de donner leur nom. La Société maritime a pris la marine à vapeur sous sa haute protection. Elle tient l’Angleterre en état de blocus continental ; elle met des vaisseaux de haut bord sur le chantier ; elle entreprend le cabotage, les voyages de long cours, les grandes guerres ; elle dresse à l’avance les bulletins des victoires ; est-il besoin d’ajouter que tout cela n’est guère sérieux ? Ces discussions ex professo sur des matières étrangères à ceux qui les traitent ne prouvent que trop la malheureuse ambition de parler de tout, la prétention à la capacité