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des vicissitudes théâtrales, et qui semblent ne reparaître à certains intervalles que pour s’engloutir de nouveau. Peut-être y eut-il à cette époque trop de lenteur de la part du maître ; peut-être commit-on une faute irréparable en ne retirant pas sur l’heure d’un si beau mouvement tout ce qu’il pouvait donner. On remit au lendemain, et, d’ajournemens en ajournemens, les chances favorables diminuèrent. Qu’arriva-t-il ? Lorsque le moment vint où soi-même on n’eût pas demandé mieux que de céder aux sollicitations de tous, les moyens d’exécution en vue desquels on avait composé se trouvèrent manquer.

Ces trois années perdues en toute sorte de vaines discussions et de petites coquetteries avaient vu s’accomplir les plus graves événemens. Pendant qu’on s’attardait ainsi, la désorganisation envahissait la troupe de l’Opéra ; Nourrit, sombre, abattu, en proie au vertige du découragement, s’en allait mourir en Italie, déplorable victime d’un point d’honneur exagéré ; la voix de Mlle Falcon jetait son dernier cri au milieu d’une salle consternée, et Levasseur, resté seul de ce groupe fameux, Levasseur, comme ce bon Marcel des Huguenots, ne survivait à ces jeunes funérailles que pour disparaître bientôt, vaincu par l’isolement et la caducité. On a beau dire, les œuvres même les plus vigoureuses et les plus capables d’affronter le temps sont toujours filles de la circonstance, du moment. A côté de l’élément immortel qui fera leur vie dans l’avenir, il y a en elles je ne sais quel élément transitoire, contemporain qu’elles empruntent aux idées, aux.querelles, aux conditions du jour, et qui, bien qu’il doive s’effacer plus tard, n’en doit pas moins avoir subsisté pour l’entière gloire de leur épanouissement.

Voilà justement ce qu’on a laissé échapper au détriment des deux partitions du Prophète et de l’Africaine. Je le répète, tandis qu’on se consumait à discuter des arrangemens secondaires, à combiner des stipulations minutieuses, l’occasion se dérobait ; reviendra-t-elle un jour ? Nous l’espérons ; mais, dans tous les cas, le mieux serait de laisser pour un certain temps reposer ces œuvres dont on a trop parlé. Le Prophète et l’Africaine furent écrits en des circonstances mémorables, et ce que réclamerait impérieusement l’exécution de ces partitions, ce ne serait point tel sujet de renom qu’on pourrait au besoin se procurer à force d’or, mais une troupe unie, intelligente, sympathique, élevée dans la tradition bien entendue d’un système français, une troupe du genre de celle qui marqua la période illustre de Robert-le-Diable et des Huguenots. Par malheur, de semblables conditions ne sauraient désormais être énoncées, car, si depuis quelques années on peut compter d’éminens sujets dans le personnel de l’Académie royale de musique, de troupe il n’en existe plus. Et croyez bien que Meyerbeer comprend ici les choses comme nous, lui qui, malgré tant d’instances et d’entreprises, a toujours refusé de se dessaisir, et qui, forcé dans sa conscience de grand maître, lorsqu’on fait un appel à ses sentimens pour un théâtre dont seul, à coup sûr, il pourra conjurer la mauvaise fortune, offre d’écrire un opéra nouveau, ayant dans son portefeuille des ouvres auxquelles pas une note ne manque.

Déjà les imaginations s’exercent à l’endroit de cet opéra nouveau promis à l’Académie royale de musique par l’auteur du Prophète et de l’Africaine. Plusieurs veulent absolument que ce soit un Struensée, et nous y consentirions de grand cœur, s’il ne nous semblait voir dans ce bruit une méprise inspirée par ce qui vient de se passer à Berlin. Le frère de l’illustre compositeur, Michel Beer, poète