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dès-lors chacun de se croire obligé d’en proclamer le titre. Un souffle d’Allemagne nous apporte le nom de Struensée, va pour Struensée. C’est ainsi que naguère on voulait à toute force que Rossini s’occupât d’une Jeanne d’Arc. Il est vrai que depuis les titres ont changé : la Jeanne d’Arc est devenue un Robert Bruce, lequel, à son tour, n’est pas bien sûr de ne point avoir eu jadis nom la Donna del Lago ; mais ici de vifs débats se présentent, et nous touchons à des questions grosses de polémique.

Qu’y a-t-il de nouveau dans cette affaire ? S’agit-il d’un chef-d’œuvre original du grand maître ou simplement d’une parodie de quelqu’une de ses partitions italiennes, pour nous servir de l’expression d’un judicieux critique ? Qui a raison et qui a tort, des vrais croyans ou des sceptiques ? Terrible pari auquel seule peut venir mettre fin la représentation de Robert Bruce. En attendant, les discussions préliminaires vont leur train, et la réplique aux aguets s’empare avec avidité du moindre incident capable d’émouvoir à cet endroit la curiosité publique. Pour peu que vous disiez un mot, les argumens ne se feront pas attendre, et vous serez étonné de voir combien de choses contenait à réfuter la ligne la plus inoffensive, le paragraphe le plus empreint de bienveillance et de bonhomie. Nous entendions dernièrement de chaleureux partisans de Rossini regretter pour l’immortel auteur de Semiramide et d’Otello l’épreuve nouvelle qu’il allait tenter de gaieté de cœur à l’Opéra, et dire que s’il était permis, après tant d’années de silence et sur la fin d’une carrière glorieusement couronnée par Guillaume Tell, de s’exposer à de pareils hasards, au nom d’une œuvre imposante et spontanée, d’une de ces œuvres qu’un poète illustre appelait des délivrances, parce qu’en elles se résume toute une période de la vie des hommes de génie, il y avait je ne sais quoi de peu digne d’une renommée de premier ordre à sortir ainsi de son repos pour remanier de vieux textes et paperasser dans ses archives de jeunesse. Pour nous, bien que nous ne partagions guère cette superstition qui se plait à transformer le fainéant sublime en une sorte d’idole égyptienne immobile au fond de son sanctuaire de granit, nos sentimens d’admiration à l’égard de l’illustre maître ne sauraient souffrir aucune atteinte de l’événement qui se prépare. Un nom tel que celui de Rossini ne se compromet pas pour si peu de chose, et, à supposer que l’opéra de Robert Bruce ne nous offrit que morceaux rajustés et vieux thèmes plus ou moins habilement travestis selon les besoins de la circonstance, personne au monde, nous en demeurons convaincu, ne se croirait autorisé à voir là une marque de décadence donnée par le plus grand esprit musical de notre temps. Que Robert Bruce réussisse ou tombe, la gloire de Rossini ne saurait s’en accroître ni diminuer. C’est là une affaire qui peut sans doute intéresser au plus haut degré l’administration de l’Académie royale de musique, mais où la responsabilité de l’auteur de Guillaume Tell n’est nullement engagée. Et qu’on ne se méprenne pas sur le sens de nos paroles ; personne plus que nous ne souhaite à Robert Bruce un éminent succès, personne plus que nous ne fait des vœux pour que l’Opéra secoue enfin cet allanguissement qui le mine, et que la fortune si longtemps contraire récompense les efforts d’un directeur habile, dont l’activité ne s’est jamais démentie depuis cinq ans. Si nous insistons en un tel point, c’est afin que la question soit nettement posée pour la critique, et qu’au lendemain de la représentation l’ignorance ou la malveillance ne s’avise pas,