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Le Théâtre-Italien en est encore aux préliminaires de la saison, ou, pour mieux dire, la saison n’est point encore commencée. Le vrai public des Bouffes, on le sait, n’arrive guère avant le milieu de décembre, et, cette année, les déplacemens occasionnés par la petite session pourraient bien faire qu’on s’attardât davantage. En attendant, Semiramide et Gemma di Vergi, Norma et la Lucia, ont ouvert honorablement la campagne. Nous ne dirons rien de la Grisi, toujours égale à elle-même, toujours tragédienne imposante et superbe, et grande cantatrice dans le rôle de la reine d’Assyrie. Cette fois le chef-d’œuvre de Rossini avait à nous montrer son nouvel Assur. M. Coletti, qu’une certaine réputation précédait parmi nous, sans avoir justifié dans ses débuts les prétentions au premier rang qu’on affichait à son endroit, n’en reste pas moins une fort utile acquisition pour le théâtre. Son style et sa manière témoignent dès l’abord d’une excellente école, sa déclamation a de la puissance et du dramatique ; en un mot, on sent en lui un homme accoutumé à tenir avec honneur les grands rôles du répertoire. Pourquoi faut-il que sa voix manque ainsi de timbre et de fraîcheur ! La voix de M. Coletti monte sans obstacle, et les passages d’agilité dont abonde la partie d’Assur la trouvent d’une parfaite complaisance ; malheureusement c’est là un avantage assez commun aux belles voix usées, et j’avoue que cette souplesse acquise aux dépens de la franchise et de la sonorité de l’organe ne m’a jamais paru chez un chanteur qu’une qualité négative. Si quelque chose pouvait faire oublier de semblables inconvéniens, le sentiment musical dont est doué M. Coletti et sa remarquable expérience du théâtre y suffiraient. Dans le sublime adagio, notte terribile, notte di morte, du grand duo entre Assur et Semiramide au second acte, M. Coletti se montre digne de faire la partie de la Grisi, et c’est tout dire ; quant au cantabile de la scène des tombeaux, alla pace dell’ ombre ritorna, impossible de rendre cette phrase admirable avec plus de pathétique et de largeur. Nous le répétons, cet engagement, envisagé au seul point de vue de l’ensemble de la troupe italienne, ne mérite que des éloges. Sans doute, du côté des basses l’administration des Bouffes était richement pourvue ; mais, si l’on y réfléchit, entre Lablache, qui renonce désormais à l’emploi tragique, et Ronconi, plus porté par ses goûts et la nature de son talent aux créations du nouveau répertoire, il y avait une place à prendre, celle qu’occupa un moment M. Fornasari. Tout le monde saura gré à M. Vatel d’avoir appelé à ce poste l’artiste distingué qui vient de débuter dans Semiramide. Quelque peu de goût que nous ayons à revenir sans cesse à des sujets aujourd’hui épuisés, nous ne pouvons nous décider à passer sous silence les belles représentations de la Lucia qui ont marqué la seconde quinzaine du retour des Italiens. Ronconi et la Persiani ont véritablement fait des merveilles, et cette inspiration vaut d’autant plus qu’on en tienne compte qu’ils se sentaient devant un auditoire qui n’est pas le leur, en présence de ce public d’occasion, si froid et si médiocre appréciateur des belles choses qu’on lui prodigue. Quel ensemble inoui, quelle simultanéité dans les évolutions de ces deux voix s’animant l’une l’autre, et comme sous tant de passions et d’entraînement un art profond, admirable, se cache ! quelle précision, quelle sûreté d’attaque dans les rentrées ! Ronconi surtout excelle en ces effets ; sa voix emprunte alors à l’inspiration du moment je ne sais quelle mâle vigueur, quelle puissance inusitée ; on dirait qu’elle s’enfle comme un torrent, et ce travail d’Hercule d’ébranler une salle du parterre à ses combles semble un