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anglais de Lisbonne allaient plus loin encore, et accusaient M. Dietz de recevoir de Paris une haute direction, de travailler par ordre à réunir au profit des intérêts français la cour de Lisbonne à la politique de Madrid ; la France ne combattait l’influence anglaise qu’en servant l’esprit de la contre-révolution. Certes, nous regretterions fort qu’il n’y eût pas d’autre moyen pour atteindre un pareil but ; mais il sera tout à l’heure curieux de voir l’Angleterre elle-même à l’œuvre. Il ne s’agit de rien moins pour les insurgés que de détrôner dona Maria et son époux ; c’est le programme du marquis de Loulé, l’oncle de la reine. L’Angleterre se dévouera-t-elle à ses alliés septembristes jusqu’à laisser compromettre une couronne plus qu’à moitié portée par un Cobourg ? et d’autre part, si elle soutient la reine, se résignera-t-elle à donner la main au gouvernement espagnol, si vigoureusement disposé en faveur de dona Maria ? Il serait certes assez piquant de voir aujourd’hui une coalition anglo-espagnole. Le pire est que le cabinet britannique aiderait ainsi peut-être, malgré lui, à l’accomplissement de ces grands projets d’union commerciale que les deux monarchies péninsulaires ont jusqu’ici vainement essayés. La presse anglaise accusait dernièrement M. Cabral d’avoir acheté la coopération de M. Isturitz en lui promettant l’ouverture du Tage. Voir un Cobourg descendre du trône, ou s’allier, pour le maintenir, avec des hommes qui veulent ouvrir à l’Espagne l’embouchure de ses fleuves, l’alternative est dure, et l’Angleterre a besoin ici de sang-froid. La France peut tranquillement la laisser chercher un moyen terme.

Ce moyen terme, par exemple, nous voudrions bien que la France aidât la Suisse à le trouver, et irons mettrions tout notre espoir dans un si grand résultat ; mais il faudrait pour cela juger les partis sans prévention. Ainsi, le nouveau gouvernement de Genève a fait preuve de modération après sa victoire : on l’accuse d’impuissance ; sorti d’une insurrection qui éclate à l’occasion des menées jésuitiques, il sait encore se concilier la population catholique du canton il est taxé d’hypocrisie. Ne serait-il pas plus juste de mettre en regard de la situation actuelle de Genève la situation même de Lucerne, telle qu’elle subsiste depuis bientôt deux ans ? De mutuelles récriminations sont sans doute d’assez pauvres argumens, et n’ouvrent de bonne solution pour personne ; nous voyons avec peine que la polémique suscitée par les affaires de Suisse semble s’acharner à ces contestations inutiles. Est-il ou n’est-il pas écrit dans la charte fédérale que « les cantons ne peuvent former entre eux de liaisons préjudiciables au pacte et aux droits des autres cantons ? » La ligue des sept n’a-t-elle pas malheureusement ce double caractère ? Toute la question est là, et aujourd’hui qu’elle peut être décidée légalement en diète, nous ne voyons pas comment il serait possible d’objecter la crainte des corps francs pour ajourner la décision.

D’autre part, s’il est une recommandation à faire au libéralisme victorieux, c’est assurément de se distinguer, par l’esprit qu’il apportera dans cette négociation délicate, de l’esprit qui conduisait les corps francs. C’est pour cela que nous nous réjouissons de la réserve sur laquelle le canton de Genève se tient encore à présent ; nous voudrions voir une différence de plus en plus marquée s’établir partout entre le radicalisme qui a élu domicile à Lausanne ou même à Berne et le libéralisme mieux raisonné qui pourrait guider les dix autres cantons. Nous ne croyons pas que cela soit définitivement impossible : ce qu’on appelle le radicalisme en Suisse, c’est une agitation sans principe et sans but ; nous devons