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REVUE. — CHRONIQUE.

obéissans qu’ils auront la conscience de s’obéir à eux-mêmes dans la personne de leurs élus. L’état constitutionnel est une des grandes inventions qui se soient rencontrées durant le cours des siècles ; il a réconcilié l’obéissance avec l’autorité.

Sans doute une révolution opérée par l’aide de la presse et de la publicité entraîne toujours des erreurs et des périls, mais la vie n’est qu’à cette condition, le bien ne vient pas de soi seul ; il faut l’aller chercher au prix d’un travail quotidien ; il faut tendre les mains pour que Dieu y verse ses bénédictions, et c’est oisiveté, c’est égoïsme, ce n’est point amour de la paix d’avoir les bras croisés. On a fait beaucoup avant nous ; nous aussi, nous avons beaucoup à faire pour les autres. « La petite politique s’écrie : Après nous le déluge ! La grande, la vraie politique doit toujours dire au contraire. Pour nous le déluge, s’il faut que le déluge arrive, et vienne pour les générations qui nous succéderont la colombe pacifique avec le rameau d’olivier ! » Voilà les nobles sentimens qui constituent la force des peuples ; voilà les sages principes qui doivent asseoir la grandeur future de l’Allemagne. Que signifient en comparaison les chicanes et les subtilités de droit féodal avec lesquelles elle a laissé récemment circonvenir et surprendre presque tout ce qu’elle avait d’enthousiasme disponible ?

Alexandre Thomas


CLELIA CONTI,
par Mme la comtesse Ida Hahn-Hahn[1]


Le défaut d’unité qui se révèle depuis quelques années dans les tentatives littéraires de l’Allemagne n’est nulle part plus visible que dans le roman. Les tendances les plus diverses, les plus contraires souvent, se sont donné rendez-vous sur ce terrain, où l’école romantique remportait naguère tant de victoires. Au lieu de rester dans la route frayée par les ancêtres, on s’est dispersé dans mille voies nouvelles. Ni le courage ni le talent n’ont manqué sans doute aux jeunes écrivains qui aspiraient à élargir le domaine littéraire de leur pays. Ce qui leur a manqué, c’est le respect jaloux des qualités de l’esprit national, le sentiment vrai de ses ressources. Il fallait innover en restant fidèle au génie de l’Allemagne, on a innové au contraire en rompant avec ce génie, en substituant la prédication socialiste à la patiente observation des mœurs, et l’imitation stérile des littératures étrangères au culte fécond des muses domestiques. Qu’est-il arrivé ? Parmi tant de conteurs qu’on a vus partir en quête d’aventures et annonçant au monde littéraire une ère meilleure, combien sont revenus avec les conquêtes promises ! En vérité, le vieux Tieck peut assister paisible et souriant à l’essor des générations nouvelles : il n’a point à s’effrayer de leurs provocations superbes ni à s’affliger de leurs injustes railleries. Dans cette arène du roman, où se heurtent tant de vanités, tant de prétentions diverses, qui donc a marché d’un pas plus ferme et plus sûr ? La gloire de M. Tieck, c’est précisément de s’être essayé dans tous les genres qu’on prétend découvrir aujourd’hui, et d’y avoir marqué la vraie mesure dans laquelle le génie national peut admettre l’innovation. La faiblesse de ses successeurs, c’est d’avoir méconnu cette mesure et

  1. Un vol. in-18 ; Berlin, chez Alexandre Duncker, libraire de la cour.