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à laquelle parvint à les plier l’amiral Jervis. Chez nous, au contraire, tout tend, il faut bien le dire, à déconsidérer la vieillesse et à lui enlever ce respect pieux dont on l’entourait jadis ; nos lois mêmes ont imprudemment contribué à ébranler cette colonne sainte, et un certain relâchement s’est introduit, depuis la révolution, dans le gouvernement intérieur de la famille. Le père y commande d’une voix moins ferme et moins grave, il y tient un rang moins élevé qu’autrefois. Si l’on veut ajouter à cette influence majeure de l’éducation première les inévitables conséquences d’une intelligence en général plus ardente et plus prompte, on ne s’étonnera point de trouver chez nos officiers un esprit d’indépendance et de critique bien autrement prononcé que chez la plupart des officiers anglais. C’est un malheureux penchant contre lequel on s’irriterait en vain. Il a fait de tout temps un peu partie du caractère national, et cette époque de libre discussion ne le verra point probablement disparaître. C’est un ennemi avec lequel il faut vivre. On l’a désarmé quelquefois par de la loyauté et de l’indifférence, rarement par des complaisances ou des rigueurs. L’amiral Jervis eût-il réussi à imposer ses volontés à des officiers français, comme il les imposa à trois reprises différentes à la flotte de la Méditerranée et à celle de la Manche ? Il est permis d’en douter. La marine anglaise a connu des chefs moins rigides et plus populaires que l’amiral Jervis. Tant que le génie français et l’éducation française seront les mêmes ces amiraux sembleront de plus sûrs modèles à proposer aux nôtres que le chef inflexible qui exigeait de ses capitaines qu’ils montassent la garde sur le rivage, pendant que la flotte s’approvisionnait d’eau ou de vivres frais, et qui n’a jamais pardonné une première faute.


II.

La flotte dont Jervis venait de prendre le commandement se composait de 25 vaisseaux, 24 frégates, 40 corvettes, 7 bricks, 5 grands bâtimens de transport, armés chacun de 22 bouches à feu, 2 cutters de 14 canons ; 1.bâtiment-hôpital, 1 brûlot, 1 navire destiné à recevoir les prisonniers, en tout 76 voiles. Sept vaisseaux furent détachés sous les ordres du contre-amiral Mann devant le port de Cadix, afin d’y retenir l’escadre du contre-amiral Richery ; Nelson, avec son vaisseau, sur lequel il obtint d’arborer le guidon de commodore, trois frégates et deux corvettes, retourna dans le golfe de Gênes, où l’amiral Hotham lui avait déjà confié le soin d’assister dans leurs opérations les généraux autrichiens. D’autres divisions furent chargées d’escorter les nombreux convois qui traversaient sans cesse la Méditerranée. Des bâtimens furent en outre expédiés dans les ports alliés pour y raffermir une alliance chancelante, dans les ports neutres pour y faire respecter la neutralité,