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dans les ports de la côte d’Afrique pour y rappeler aux nombreux pirates barbaresques la grandeur maritime de l’Angleterre et les ménagemens qu’exigeait sa puissance. Obligé de pourvoir à tant d’intérêts divers, sir John Jervis ne put conserver près de lui qu’un petit nombre de navires ; mais il était certain que son influence, appuyée sur une réputation de sévérité déjà bien établie, se ferait sentir dans toute l’étendue de son vaste commandement. Après avoir dispersé ses divisions légères dans la Méditerranée, Jervis conduisit devant Toulon, au mois de janvier 1796, les 13 vaisseaux qu’il avait réservés pour le blocus de ce port. Jervis et Nelson ont entendu les blocus d’une manière différente. Jervis voulait serrer l’ennemi de si près qu’il ne pût essayer de sortir du port ; Nelson voulait, au contraire, lui laisser la mer libre, le faire observer par quelques frégates et courir à sa poursuite dès qu’il avait pris le large. Ce système était plus audacieux ; celui de Jervis protégeait mieux la sécurité du commerce anglais. Jervis, d’ailleurs, avait promis aux généraux autrichiens que, tant qu’il serait dans la Méditerranée, la flotte française ne quitterait point la rade de Toulon. Une escadre avancée, commandée par les capitaines Troubridge, Hood et Hallowell, s’établit en croisière entre les îles d’Hyères et le cap Sicié ; le gros de la flotte se tint plus au large, prêt à voler au secours de cette division, si elle était menacée… Cette première croisière dura cent quatre-vingt-dix jours. Les vaisseaux de l’amiral Jervis n’étaient point mieux approvisionnés que ceux de lord Hood ou de l’amiral Hotham, mais Jervis s’était interdit toute plainte inutile et avait su imposer silence aux murmures de ses capitaines.« Notre pays fait ce qu’il peut pour soutenir cette guerre, leur disait-il souvent : c’est à nous de lui venir en aide par un loyal concours »

Malgré le rigorisme de ses principes en fait de discipline sir John Jervis n’était vraiment intraitable que pour cette classe d’officiers qu’il appelait les récalcitrans (the refractory). Eux seuls supportaient tout le poids de cette volonté de fer. Quant à Nelson, dès les premiers jours, il sembla le considérer plutôt comme un associé que comme un capitaine placé sous ses ordres. Les autres commandans de l’escadre en manifestèrent un étonnement mêlé d’un peu d’envie. « Du temps de lord Hood, dirent-ils à Nelson, vous agissiez comme vous l’entendiez. Vous en avez fait autant avec lord Hotham, et vous continuez à faire de même avec sir John Jervis. Peu vous importe à vous quel soit le commandant en chef. » Nelson, en effet, nous l’avons dit, avait conservé sous l’amiral Jervis le commandement temporaire dont l’avait investi la confiance de l’amiral Hotham, et, avant que l’escadre eût quitté la baie de Saint-Florent pour se rendre devant Toulon, il était déjà retourné dans le golfe de Gênes, afin d’y surveiller les mouvemens de l’armée française. Cette mission délicate convenait merveilleusement à son caractère actif