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Au coucher du soleil, il fit signal à ses vaisseaux de se préparer au combat, les rangea sur deux colonnes et leur recommanda de se tenir beaupré sur poupe pendant la nuit. Le 14 février, ce jour si désastreux pour la marine espagnole, se leva obscur et brumeux sur les deux flottes. La flotte anglaise était formée en deux divisions compactes, et le premier regard de Jervis se porta avec satisfaction sur ces deux files égales et serrées qui, par un mouvement rapide, pouvaient en un instant présenter un front formidable. Vers l’orient, la côte de Portugal montrait à peine, à travers le brouillard ; ses falaises escarpées et les hautes sierras de Monchique, qui dominent la baie de Lagos ; les frégates anglaises jetées en avant pour observer l’ennemi ne signalaient encore que six vaisseaux espagnols, et un voile épais planait sur les deux escadres. Cependant, à mesure que le soleil s’élevait au-dessus de l’horizon, la brume, qui les avait enveloppées jusque-là, se roulait en légers flocons que la brise poussait devant elle, ou montait en tourbillonnant vers la cime des mâts pour aller se perdre dans le ciel. A neuf heures du matin 20 vaisseaux espagnols avaient été comptés du haut des barres de perroquet du Victory, et à onze heures les frégates anglaises en signalaient. 25. Par suite de la négligence avec laquelle ils avaient navigué jusqu’à ce moment, les vaisseaux espagnols se trouvaient alors séparés en deux pelotons. L’amira1 Jervis se promit de profiter de cette faute et se disposa à attaquer séparément une de ces divisions. L’une, composée de 19 vaisseaux, formait le gros de la flotte ; l’autre n’en comptait que 6, tombés sous le vent pendant la nuit et aperçus les premiers par l’escadre anglaise. Toutes deux faisaient force de voiles pour opérer une jonction imprudemment différée. Vers l’intervalle qui séparait encore les deux pelotons ennemis, intervalle qui diminuait à chaque instant, s’avançait de son côté l’escadre de Jervis, alors rangée sur une seule ligne de file. Tel fut le tableau plein d’émotion que présenta pendant : quelques heures le champ de bataille ; mais l’amiral espagnol, s’apercevant que, s’il continuait sa route, la totalité de sa division ne parviendrait pas à doubler l’escadre anglaise, vira de bord au moment où la tête de cette escadre s’approchait. Cependant trois des vaisseaux espagnols avaient, avant ce mouvement, dépassé l’avant-garde ennemie et rallié la division sur laquelle il était probable que sir John Jervis porterait ses premiers efforts. Sir John, avec une rare sagacité, en avait décidé autrement. En effet, s’il se fût laissé séduire par l’espoir d’écraser ces neuf vaisseaux avec son escadre, il est probable qu’il aurait eu bientôt sur les bras toute la flotte espagnole ; car le vent, dans cette circonstance, eût servi les projets de l’amiral Cordova et lui eût permis de se porter avec la totalité de ses forces sur le théâtre du combat. En négligeant, au contraire, cette