Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/622

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

décidé, par sa manœuvre audacieuse, la capture des vaisseaux qui tombèrent au pouvoir de l’escadre anglaise. « C’est à vous, lui écrivait Collingwood le lendemain de la bataille, c’est à vous et au Culloden qu’appartient l’honneur de la journée. Laissez-moi vous féliciter, mon cher et bon ami, et vous dire qu’au milieu de la joie que j’éprouve d’un succès si glorieux pour la marine anglaise, sil est quelque chose qui puisse ajouter à ma satisfaction d’avoir battu les Espagnols, et d’avoir vu, cette fois encore, mon cher commodore au premier rang parmi ceux qui combattaient pour les intérêts et la gloire de notre pays, c’est la pensée que j’ai pu vous être utile hier, et prêter à votre vaisseau une assistance opportune. » Ce dut être, en effet, un beau moment pour Collingwood que celui où il vint couvrir le vaisseau de son rival et de son ami ; il pouvait à bon droit s’en souvenir le lendemain de cette journée mémorable. La précision de sa manœuvre, le coup d’œil rapide qui lui en avait fait entrevoir la possibilité, le mouvement généreux qui lui en suggéra la pensée, tout cela fut digne de l’officier intrépide qui devait survivre à Nelson et consoler l’Angleterre de sa perte. Ce fut vraiment une noble affection que celle qui unit ces deux hommes. Fondée sur une estime réciproque au début de leur carrière, elle traversa sans s’altérer de longues années et de difficiles épreuves, jusqu’à ce jour néfaste où Trafalgar dut apprendre à la France ce que valent et ce que produisent la cordiale union des chefs et leur coopération sincère.

Nelson, du reste, n’avait point attendu la lettre de Collingwood pour reconnaître le secours qu’il avait reçu de son ami. « Il n’est point de meilleur ami (lui écrivit-il dès que les vaisseaux anglais furent libres de communiquer entre eux) que celui qu’on trouve au moment du besoin, et votre glorieuse conduite dans le combat d’hier m’en a donné la preuve. Vous avez épargné de nouvelles pertes au Captain. Recevez-en tous mes remerciemens. Nous nous reverrons dans la baie de Lagos ; mais je n’ai pas voulu attendre plus long-temps pour vous exprimer tout ce que je dois à votre assistance dans une situation qui pouvait devenir critique. » Sublime et glorieux échange ! touchantes félicitations ! Sans doute ce sont là les émotions saintes qu’au milieu des combats recherche un noble cœur, car elles honorent encore, la nature humaine à travers ces scènes de deuil et de carnage, et peuvent justifier l’irrésistible attrait que ces luttes sanglantes ont offert de tout temps aux ames généreuses.

Rien ne devait manquer en ce jour à la gloire de Nelson. Quand il se présenta à bord du Victory, sir John Jervis le serra dans ses bras et refusa d’accepter l’épée du contre-amiral espagnol qui montait le San-Josef. « Gardez-la, lui dit-il ; elle appartient à trop de titres à celui qui l’a reçue de son prisonnier. » Quelques esprits jaloux essayèrent, il est