Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/669

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne méritent guère d’arrêter. J’ai vu à Rome, où il m’avait été indiqué par le respectable père Ungarelli, un monument venu certainement de Saïs et beaucoup plus curieux que tout ce qu’elle contient aujourd’hui. Ce monument suffirait à lui seul pour montrer quel jour peut répandre sur l’histoire d’Égypte la lecture des hiéroglyphes. Il est venu en aide à une opinion déjà énoncée par M. Letronne et appuyée sur d’autres preuves, à savoir que les destructions opérées par les Persans et leur roi Cambyse avaient été notablement exagérées. C’est une statuette d’un prêtre de la déesse Neith, patronne de Saïs ; elle porte une inscription hiéroglyphique attestant que Cambyse, loin de faire dans cette circonstance aucune violence à la religion nationale, lui a rendu au contraire un éclatant hommage. On peut lire avec certitude dans l’inscription que Cambyse a fait les cérémonies sacrées en l’honneur de la déesse Neith comme les anciens rois.

Les auteurs grecs parlent souvent de Saïs, la première grande ville de l’ancienne Égypte qu’on trouvait en remontant la branche canopique du Nil, long-temps ouverte seule aux étrangers. D’ailleurs Saïs était peu éloignée de Naucratis, dont la population était grecque aussi bien que le nom. C’est à Saïs que Platon place l’entretien de Solon et des prêtres sur l’Atlantide. À Saïs se rattachent deux grandes questions qu’on ne peut résoudre en passant devant ses ruines, mais que ces ruines rappellent la question des colonies égyptiennes en Grèce, et celle des mystères de l’Égypte. Cécrops, dont le nom a du reste une physionomie assez égyptienne, venait-il de Saïs ? Saïs était-elle la mère d’Athènes ? La déesse Athéné (Minerve) était-elle la même que la déesse Neith ? Ces choses que l’antiquité a crues ne sont point impossibles ; si elles étaient vraies, il faudrait saluer ici le berceau d’Athènes, mais elles me semblent loin d’être démontrées. Quelque opinion qu’on adopte sur la grande question des colonies égyptiennes, il faut reconnaître que les témoignages des anciens sur ce sujet, tous très postérieurs à l’événement, doivent être accueillis avec réserve. On a trouvé sur les monumens égyptiens des traces d’immigration ; on y a vu représentées des familles de pasteurs arrivant du dehors comme la tribu d’Abraham, mais on n’a pu découvrir jusqu’ici rien qui ressemble à une émigration. Les Égyptiens paraissent avoir été un peuple sédentaire. Attachés à leur pays, qui était pour eux l’univers, la singularité de ce pays extraordinaire contribuait, encore à les y fixer. En général, quand on est né dans une contrée qui diffère beaucoup des autres par sa physionomie physique et par ses institutions politiques, on est peu disposé à se faire ailleurs une patrie. Plus on a sujet d’être dépaysé par un changement de lieu, moins on est porté à s’établir dans un lieu nouveau ; c’est probablement ce qui fait que les habitans des montagnes tiennent si fortement aux régions qui les ont vus naître. Accoutumés au caractère tranché de