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Saïs, où nous les voyons plus certainement établis que partout ailleurs, était voisine de Naucratis, et que Naucratis était grecque.


16 décembre.

Je me réveille sur le Nil ; je vois pour la première fois le soleil se lever sur ses rives. Notre bord a reçu un personnage important, un des hommes les plus éclairés que renferme l’administration égyptienne, Edem-Bey, ministre de l’instruction et des travaux publics ; j’ai pour lui une lettre de mon vénérable confrère M. Jomard, et je suis charmé de commencer notre connaissance sur le bateau à vapeur, où l’on a tout loisir de converser librement. Edem-Bey a vu la France et l’Angleterre ; les idées saint-simoniennes et fouriéristes lui sont familières : on sent qu’il a une certaine prédilection pour elles. Je le regarde et j’écoute avec curiosité. Eh quoi ! c’est un Turc, un ministre du terrible exterminateur des mamelouks, ce personnage à lunettes vertes parlant très bien français et développant tous les avantages qu’offre l’association des petites fortunes et des petites existences avec une bonhomie que je croix sincère ! L’Orient, où l’idée de la propriété individuelle n’a jeté nulle part des racines bien profondes, est le pays où les théories socialistes ont, à quelques égards, le moins de chemin à faire pour s’établir. On y est fort accoutumé à l’exploitation par le gouvernement ; il n’y aurait qu’à la conserver en la régularisant, en la purgeant de despotisme, s’il est possible. Les idées de Saint-Simon ont laissé un germe en Égypte ; les idées de Fourier s’infiltrent à Constantinople. L’Orient, qui n’a connu ni le christianisme ni la liberté, est une terre favorable pour des théories qui ne s’arrangent très bien ni du premier ni de la seconde.

En remontant le Nil, on est frappé, d’un spectacle nouveau A droite et à gauche, le fleuve envoie des canaux qui se divisent et se ramifient ; c’est comme un réseau d’artères qui, partant d’un tronc commun, vont porter la vie aux extrémités ; mais là s’arrête la comparaison. Aucun affluent ne vient grossir le fleuve nourricier ; il y a donc ici des artères, mais il n’y a pas de veines.

La pointe du Delta s’appelle le Ventre de la Vache ; ce nom, donné à l’endroit où commence la partie la plus fertile de l’Égypte, n’est-il pas un souvenir de la vache divine, d’Isis, symbole de la fécondité et personnification de l’Égypte ? Tout le monde sait que les Grecs désignèrent par le nom de Delta un triangle dont la pointe est ici, et dont la base est appuyée à la mer, à cause de la ressemblance qu’ils lui trouvaient avec la quatrième lettre de leur alphabet. Depuis, le nom de Delta a été donné à tous les pays créés ainsi par les atterrissemens que produisent les fleuves vers leur embouchure ; ce phénomène géographique n’est point particulier à l’Égypte. Ceci n’est point le Delta, mais un delta, car il y en a plusieurs ; il y a un grand nombre. Ceci est le delta du Nil.