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humains. On rencontre d’abord le clocher de Strasbourg[1] ; il n’a que 11 pieds de moins. Certes, si en 1439 on eût connu en Europe la véritable élévation de la grande pyramide, il est à croire que Jean Hulz, qui termina en cette année le chef-d’œuvre d’Erwin Steinbach aurait ajouté 42 pieds à la hauteur de son monument, pour que la flèche aérienne de l’église gothique dépassât dans les cieux, la pointe du colossal édifice de l’Orient ; le temple du Dieu des chrétiens l’emporterait sur le tombeau du Pharaon, le moyen-âge sur l’antiquité, la France sur l’Égypte. Le temps a diminué de 24 pieds environ la hauteur totale de la pyramide, et dans son état actuel elle est moins élevée que la tour de Strasbourg ; mais il y a une grande différence entre les deux monumens : l’inégalité de leurs chances de durée. La forme des pyramides est pour elles une condition de stabilité inébranlable. Dans un corps pyramidal, la base étant très large et le centre de gravité peu élevé, la résistance que le corps oppose au renversement est presque égale à son poids ; de là la grande solidité des pyramides[2]. La flèche de Strasbourg offre une disposition entièrement contraire, et dans les deux monumens les deux procédés d’architecture répondent à leur objet ressemblent la pensée qu’elles a inspirés. L’un est un temple, l’autre est un sépulcre ; l’un représente l’élan de l’ame vers le ciel, l’autre l’immutabilité de la momie et l’immortalité de la mort. Après le clocher de Strasbourg vient le dôme de Saint-Étienne à Vienne, puis le dôme de Saint-Pierre de Rome. Supposez la grande pyramide en fer-blanc creux, on pourrait la placer sur Saint-Pierre, qui disparaîtrait comme la muscade escamotée sous le gobelet ; si la tour de la cathédrale d’Ulm et celle de la cathédrale de Cologne avaient été achevées selon le plan primitif, elles auraient surpassé en hauteur la grande pyramide.

Sauf un petit nombre de chambres, deux couloirs et deux étroits soupiraux, la pyramide est entièrement pleine. Les pierres dont elle se compose forment une masse véritablement effrayante. Cette masse, d’environ 7 millions de pieds cubes[3] pourrait fournir les matériaux d’un mur haut de six pieds, qui aurait mille lieues et ferait le tour de la France. Quand on a contemplé quelque temps ces masses, il en sort cette question : Comment suis-je ici ? En effet, par quel moyen a-t-on pu élever avec tant de régularité des centaines d’assises de 200 pieds cubes et du poids de 30 milliers ? Et d’abord où en a-t-on pris les matériaux ? On admet généralement que ces matériaux ont été empruntés aux carrières de Tourah, de l’autre côté du Nil. Cependant la masse de la grande Pyramide, selon M. Vyse, a été construite avec la pierre même

  1. M. Parthey place entre les deux le clocher d’Anvers, auquel il attribue 447 pieds, 4. pieds seulement de moins que la grande pyramide. (Wanderungen, p. 101.)
  2. Neil Arnott, Mécanique des Solides, trad. franç., t. I, 128.
  3. Expédition d’Égypte. — Jomard, Recherche., sur les Pyr., p. 167.