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incomplète ? La première est que le soldat se trouve fréquemment placé de manière à ne pouvoir être puni autrement ; la seconde est qu’en supprimant la peine du fouet, on serait obligé de recourir plus souvent à la peine de mort. On comprendra, sans que nous nous arrêtions à les réfuter, combien sont faibles et puérils les argumens tirés d’une prétendue nécessité que l’expérience dément chez nous et ailleurs. Nous avons dû cependant ne pas les omettre, car, sous la plume d’un soldat qui a vécu deux ans exposé à ces châtimens réprouvés, ils ont, à part toute autre valeur, celle d’un trait caractéristique. Il est souverainement curieux, surtout il est contre toutes les idées reçues en France, qu’un militaire à peine licencié reconnaisse comme deux faits irrévocables et corrélatifs, d’abord le recrutement de l’armée anglaise parmi tout ce que la nation a de plus méprisable et de plus dangereux, puis la nécessité de donner pour garanties à la discipline, a la subordination militaire, les mêmes supplices que partout ailleurs on réserve à l’esclave, aux bêtes de somme, aux êtres les plus avilis de la création.

Du reste, nous n’irons pas loin sans trouver encore l’écrivain novice eu contradiction avec lui-même. Nous avons vu qu’il réserverait volontiers le fouet aux crimes commis pendant la guerre. Or, il constate, comme un fait généralement observé, que les officiers anglais, n’ayant aucune influence morale sur leurs soldats, sont réduits, aussitôt que l’heure du péril sonne, à se relâcher de leurs rigueurs ordinaires. Domptés, pendant la paix, par la crainte et par la crainte seule, les soldats en campagne prennent leur revanche ; ils savent qu’on n’osera pas les mécontenter, qu’un chef dont le salut dépend de leur zèle et de leur courage fermera les yeux sur bien des délits, et ils profitent largement de cette impunité temporaire. Ainsi, au moment même où les nécessités exceptionnelles réclament, dit-on, l’emploi du fouet, on y a bien moins recours qu’en toute autre circonstance. Voici le passage auquel nous faisons allusion, et que nous regretterions de ne pas donner textuellement. «En temps de guerre, si le fouet reste suspendu in terrorem sur le soldat, dont les passions déchaînées ont besoin d’un frein plus puissant, l’officier hésite à s’en servir, si ce n’est pour les crimes les plus graves. Il dépend alors de ses hommes, et, dans son propre intérêt, il fera tout au monde pour les maintenir en aussi bonne disposition que possible. Si je ne me trompe, il n’y eut pas à Jellalabad, pendant le siège, un seul exemple de punition corporelle. Les soldats étaient alors courtisés et flattés en toute occasion par leurs chefs, dont la condescendance n’avait presque plus de bornes ; mais, plus tard et quand le régiment fut de retour dans l’Inde, il expia chèrement cette provisoire indulgence, et, pour lui apprendre à ne point trop compter sur les exemples passés, les cours martiales redoublèrent de rigueur, les exécutions furent plus fréquentes qu’elles ne l’avaient jamais été, si