Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/723

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

menacer l’existence même de l’empire indo-britannique. Des régimens d’infanterie indigène, s’étant révoltés, massacrèrent un grand nombre de leurs officiers européens. Tout annonçait que l’insurrection allait s’étendre au loin, peut-être gagner Madras ou Calcutta ; mais dans le voisinage se trouvait un régiment de cavalerie, sous les ordres du colonel Gillepsie, qui s’est fait un nom glorieux dans les guerres de l’Inde. L’affection de ces soldats pour leur chef l’emporta sur l’esprit de nationalité. Ils n’hésitèrent pas à charger leurs compatriotes. S’ils avaient refusé, ce qu’ils eussent fait sans doute sous un autre commandant, aucun obstacle n’arrêtait plus la révolte. Il y a tout lieu de croire que la domination anglaise aurait disparu de l’Inde. « Le sort de l’empire, dit un historien, dépendit, sans aucun doute, de la conduite d’un seul régiment : celle de ce régiment, du caractère du chef qui le commandait. L’imagination s’effraie de la ténuité du fil qui suffit à retenir sur le bord de l’abîme cette masse immense[1]. »

En 1842, la désaffection des cipayes, due, — on le pense du moins, — aux intrigues des Sickhus, se montra de tous côtés dans l’armée d’observation réunie à Ferozepore, et maintenant encore les troupes du Bengale sont soumises à des précautions qui attestent à quel point on se méfie de leur fidélité. Chaque nuit, tous les soldats, excepté les hommes de service, viennent déposer leurs fusils dans des râteliers d’armes gardés par une sentinelle. Ces râteliers ont le nom de bells, cloches, et chaque régiment en a dix, un par compagnie. Ces mesures préventives contre l’esprit de révolte subsistent même alors que les troupes sont en marche, et ne cessent qu’en pays ennemi.

Quand on compare les forces relatives des deux armées, il est impossible de ne pas redouter pour l’Angleterre un moment prévu par les meilleurs esprits : celui où les troupes cipayes se révolteront en masse contre la domination étrangère. Dans un ouvrage universellement estimé, celui de M. John Malcolm, cette hypothèse est présentée comme inévitable. « Il est facile, dit-il, d’apprécier le genre de services que le gouvernement anglais se trouve <à même de retirer des indigènes, officiers ou soldats. Ils obéiront dans des circonstances ordinaires, ils hésiteront quand elles menaceront de devenir graves, ils nous échapperont quand elles le seront devenues. » Et ailleurs, parlant des officiers indigènes tels qu’ils se montrèrent à Vellore et à Barrackpore : « Dans ces deux occasions, dit-il, ils agirent en hommes désireux de ne point perdre ce qu’ils possédaient, mais, en même temps, dénués de motifs suffisans pour accomplir avec ardeur, avec résolution, un devoir difficile[2]. »

Or, les forces payées par la compagnie, y compris les soldats

  1. L’Inde sous la domination anglaise, par M. Barchou de Penhoën, t. II, p. 5.
  2. Malcolm, Hist. polit., t. Il, p. 235.