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voyait réduite à assiéger de ses prévenances cette même Autriche qu’elle avait si long-temps traitée en esclave. Le pape, au lieu de lancer les foudres de Sixte-Quint, avait recours aux supplications, et ce résultat, d’une signification si précise, avait été amené par la force même des choses. Depuis Louis XIV, le monde avait fait un pas immense vers un avenir qui semblait prochain, et qui déjà se révélait aux plus hautes intelligences. Cependant les cabinets de l’Europe n’avaient pu voir sans un mécontentement assez vif les premières réformes de Joseph II. La prodigieuse activité de son esprit, sa passion pour la gloire, la portée de ses desseins, devaient faire naître de légitimes alarmes pour la paix et l’équilibre du monde. Frédéric avait montré naguère ce que pouvait le génie d’un souverain, même avec les plus faibles ressources, et Joseph pouvait mettre au service de son ambition la puissance d’un grand empire. On désirait donc ardemment en Europe le succès des négociations que le saint-père allait ouvrir à Vienne, et l’on espérait que le jeune empereur, un moment séduit par de brûlantes théories, renoncerait sans peine à son entreprise devant une intercession aussi flatteuse pour son amour-propre. C’était mal connaître Joseph II que de le croire accessible aux séductions de la vanité ; l’indépendance de son esprit était si absolue, qu’aucune influence du dehors ne pouvait peser sur sa résolution. Il résista avec une respectueuse fermeté aux conseils et aux prières du souverain pontife, et les devoirs de l’hospitalité ne l’empêchèrent jamais de manifester hautement son opinion ; on put même remarquer quelquefois dans ses procédés une légère teinte d’ironie. Ainsi, quand le pape arriva à Ferrare, un officier hongrois vint lui annoncer que l’empereur son maître avait fait préparer, pour recevoir un hôte aussi illustre, l’appartement même de Marie-Thérèse. Le pape fut profondément touché de cette attention, et voulut récompenser le messager en lui donnant un chapelet bénit, mais le messager choisi par l’empereur était protestant. À Goritz, un détachement des gardes vint complimenter sa sainteté son entrée sur le sol autrichien, et tous les hommes de ce détachement, sans exception, appartenaient aux communions dissidentes. Le pape, étonné de ne pas voir l’archevêque de Goritz, demanda les motifs de son absence, et il apprit avec une douloureuse surprise qu’un ordre de l’empereur venait de mander sur-le-cbamp ce prélat à Vienne pour se justifier d’avoir fait appel à la cour de Rome contre l’édit de tolérance. L’intention qui avait dicté ces différens actes était manifeste ; le pape cependant continua son voyage au milieu des populations pressées sur son passage pour recevoir ses bénédictions ou toucher la frange de ses habits. L’empereur se rendit au-devant de lui jusqu’à Neufkirchen, à quelques milles de Vienne. L’entrevue des deux souverains fut cordiale, et ils rentrèrent côte à côte dans la ville des Césars, au milieu des salves d’artillerie, du bruit des cloches et aux acclamations de la foule. Le concours des. étrangers voulus de tous les points de l’Europe fut si grand pendant le séjour du pape à Vienne, qu’il y provoqua une sorte de famine, et l’exaltation religieuse du peuple ressemblait à une sainte extase, dit un historien, quand le pape, dont la personne était imposante, paraissait au balcon pour distribuer ses bénédictions aux fidèles, dans toute la pompe éblouissante de son costume, la tiare au front, suivi de ses cardinaux vêtus de pourpre. L’empereur entoura son hôte des soins les plus délicats et les plus affectueux, le visitant plusieurs fois par jour, et, malgré l’obstination de Joseph à refuser toute concession, Pie VI conçut pour lui une amitié