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entier, sans aucun de ces scrupules dévotieux, de ces tempéramens et de ces ménagemens hypocrites que les hommes d’état ressentent si volontiers aujourd’hui. Le patronage de l’état s’exerça sur tous les degrés de l’éducation et sur toutes les professions sociales avec la même sagesse et la même fermeté. Une partie des biens des couvens supprimés fut consacrée à établir des écoles normales et à améliorer celles qui existaient déjà. Partout. où se trouvaient dans un rayon d’une demi-lieue quatre-vingt-dix à cent enfans en âge d’étudier, on établit des écoles publiques où les pauvres furent élevés gratuitement. Les inspecteurs de chaque cercle devaient faire au gouvernement un rapport détaillé sur l’état des écoles, et veiller à ce que les maîtres ouvriers ne reçussent aucun apprenti qui n’eût assisté au moins, deux ans aux cours publics. Les parens pauvres qui refusaient d’envoyer leurs enfans à l’école devaient être rayés de la liste des secours aux indigens. Enfin la paternelle bienveillance de Joseph II fit supprimer dans les écoles primaires les punitions corporelles universellement admises jusqu’à lui. L’enseignement secondaire reçut une organisation nouvelle en harmonie avec le progrès des lumières et le développement de la civilisation. Joseph ordonna que l’étude du latin, qui durait neuf ans dans les collèges, serait abrégée et simplifiée ; il voulut qu’on enseignât à des enfans qui devaient vivre à Vienne et non à Rome leur langue nationale, l’histoire de leur pays et les sciences modernes. L’empereur pensait à former des citoyens utiles, éclairés, et qui n’auraient pas besoin, en entrant dans le monde, de recommencer leur éducation. Il régla aussi la question importante et délicate de l’instruction religieuse dans les collèges, et il ne craignit point d’entrer à ce sujet dans les plus minutieux détails. Tous les dimanches, après la messe, les élèves devaient entendre la lecture des Evangiles dans la nouvelle version allemande publiée par ordre de l’empereur. Un catéchisme, rédigé d’après les instructions de Joseph II, exposait à ces jeunes intelligences l’application des principes chrétiens à la vie sociale et politique. Une très grande liberté fut laissée à l’enseignement supérieur. On supprima le serment sur l’immaculée conception, que les Jésuites avaient rendu obligatoire. Les professeurs et leurs femmes reçurent le titre de herr et de frau, ce qui n’était pas d’une médiocre importance pour la dignité de l’enseignement dans un pays aussi formaliste que l’Autriche. Les veuves des professeurs eurent droit à une pension honorable et suffisante. Des professeurs et des hommes de lettres éclairés furent chargés de la censure des livres, que les ecclésiastiques avaient jusque-là exercée dans un esprit intolérant et exclusif. Joseph II étendit ses réformes à l’enseignement médical et chirurgical. Il donna à l’exercice de la médecine une organisation légale plus large et plus complète que celle qui existe en France. Dans chaque cercle, des médecins payés par l’état furent chargés de veiller aux épidémies, et de donner aux classes indigentes des secours empressés et gratuits. On raconte que l’empereur, visitant un jour un hôpital, entendit quelques vieux soldats se plaindre d’avoir été estropiés par la maladresse d’un chirurgien improvise qui avait quitté l’aiguille pour prendre la lancette ; l’empereur fit venir cet homme, l’interrogea, et s’étant assuré de son ignorance. Qu’on lui donne un tambour, s’écria-t-il ; avec cet instrument-là, du moins, il ne fera de mal à personne.

L’activité de Joseph II tenait du prodige. Pour introduire dans les lois cette même unité qu’il avait introduite dans l’administration, dans les finances, dans