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avec un saint enthousiasme par la nation entière, et partout on éleva des arcs de triomphe devant elle.

Joseph ne pouvait plus réparer les désastres de sa fortune ; sa vie était usée, et, dans les premiers jours de l’année 1790, il vit approcher sa fin sans trouble et sans regret. Rien ne l’attachait plus à la terre, toutes ses espérances et toutes ses affections l’avaient précédé dans les cieux. Il était déjà mourant quand il apprit que sa nièce, l’archiduchesse Élisabeth, qu’il aimait comme sa fille, venait de succomber en couches. « Ah ! s’écria-t-il, je me croyais préparé à tout souffrir ; mais ce dernier malheur est au-dessus de mes forces. » Il voulut consacrer au bonheur de ses sujets jusqu’au dernier souffle de sa vie. La veille de sa mort, il donna encore quatre-vingts signatures, réglant le sort de tous ses serviteurs, et adressant un suprême adieu à ses rares amis et à ses soldats, dont il fut toujours le père. « Je me croirais coupable d’ingratitude, disait-il dans un dernier ordre du jour écrit de sa main, si, au moment de quitter la vie, je ne témoignais pas à mon armée combien j’ai été satisfait de son inébranlable fidélité, de son courage, de sa discipline… Je ne voulais pas descendre dans la tombe sans donner à mes soldats ce témoignage public de mon amour, et sans leur demander de conserver à l’état et à mon successeur la fidélité qu’ils m’ont toujours montrée. »

Le vieux comte de Haddeck, en pressant une dernière fois la main que lui tendait l’empereur, fut saisi d’une douleur si profonde, qu’il fut emporté sans connaissance, et suivit de près son maître au tombeau Dans la nuit du 19 au 20 février, qui fut la dernière de cette noble et malheureuse vie, on entendit Joseph s’écrier : « Seigneur, toi seul connais mon cœur ; je te prends à témoin que tout ce que j’ai entrepris n’avait pas d’autre but que le bonheur de mon peuple. Que ta volonté soit faite ! » Peu de momens après, il dit encore : « Comme homme et comme souverain, je crois avoir rempli tous mes devoirs. » Ces paroles, qui expliquent et résument toute sa vie, furent les dernières qui sortirent de ses lèvres. A cinq heures du matin, il parut s’endormir, et ne se réveilla plus.

L’empereur, dans son testament, réglait l’ordre et les dispositions de ses funérailles. Il n’avait jamais approuvé le pompeux appareil déployé par les grands de la terre dans ces tristes cérémonies, et les orgueilleux symboles dont on pare un cercueil, comme il appliquait toujours sans hésitation un principe qu’il croyait juste et vrai, il avait ordonné, dès les premières années de son règne, que l’égalité établie par la mort sur tous les hommes serait observée dans les funérailles. Son corps fut porté sans aucune pompe, ainsi qu’il l’avait prescrit, dans l’église des cordeliers ; où dorment tous les princes de la maison d’Autriche. Dans ses derniers momens, il avait, par un trait de bonté toute paternelle, donné ordre d’ouvrir et d’aérer à l’avance les caveaux funèbres, afin de soustraire à l’influence de cette humidité glacée, imprégnée de l’odeur du sépulcre, ceux qui devaient accompagner sa dépouille mortelle. Le deuil du peuple fut profond, Joseph vivait dans sa capitale comme un père au milieu de ses enfans. Sa bienveillance était égale pour tous, et il allait volontiers au-devant des besoins et des vœux du pauvre.

La Vie de Joseph II fut un enseignement de dignité et de haute moralité offert à ses peuples. Au milieu des séductions du rang suprême et des entraînemens d’une société brillante et corrompue, il garda l’austérité d’un sage, et donna à