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Les instructions multipliées d’Anastasio me laissaient sans inquiétude sur le chemin que je devais suivre ; je me mis donc résolument en marche. Mon cheval pouvait, grâce à la sobriété de ces animaux au Mexique, fournir encore sans boire la journée qui nous séparait d’une petite rivière. Mon outre était à moitié pleine. Il était à peine huit heures du matin, et j’avais encore dix heures de soleil ; mais ce soleil qui m’éclairait embrasait aussi le désert. A mesure qu’il s’élevait sur l’horizon, une réverbération brûlante montait du sol jusqu’à moi, des rayons de feu me faisaient courber la tête et resserraient autour de mes pieds gonflés le cuir de mes chaussures. Le souffle du midi desséchait ma bouche ; c’était du feu et non de l’air que j’aspirais par les poumons. A mes côtés, les bois morts craquaient comme aux émanations d’une fournaise. Je marchais depuis deux heures, quand un malaise étrange s’empara de moi ; un frisson parcourut mon corps, puis je tremblai de froid au milieu de cet océan de feu. J’eus beau m’envelopper de mon manteau, tout fut inutile. Je reconnus le retour d’un accès de ces fièvres intermittentes que j’avais gagnées à San-Blas, où elles font tant de ravages. Après avoir lutté quelques instans contre la courbature subite qui brisait mes membres, je mis pied à terre et me couchai sur le sol. J’étais au milieu d’un sentier tracé dans un bois épais ; j’espérais me réchauffer sur le sable brûlant. En effet, une chaleur dévorante ne tarda pas à succéder au froid qui me faisait trembler, et dans l’ardeur de la fièvre, sans penser à l’avenir, j’épuisai ce qui me restait d’eau. Cependant le soleil s’élevait toujours. La soif me dévorait de nouveau sous l’haleine suffocante du vent qui murmurait tristement dans les feuilles ; mais j’étais dans un de ces momens où le malaise physique endort la raison : je prêtai l’oreille au bruissement du feuillage qui me semblait le murmure de l’eau, et cette illusion apaisa momentanément ma soif. L’accès parut même diminuer d’intensité, et je n’éprouvai plus au bout de quelques instans qu’une extrême faiblesse. Je voulus alors remonter à cheval, et la lassitude me rejeta découragé sur le sable de la route. La soif revint en même temps plus ardente que jamais. Vide de sa dernière goutte d’eau, mon outre gisait à côté de moi, raccornie déjà par la sécheresse. De nouvelles tentatives pour me remettre en route n’aboutirent qu’à me démontrer plus clairement mon impuissance. Je finis par tomber dans une langueur somnolente qui allait se changer en assoupissement, quand j’entendis un bruit lointain, semblable à celui d’un fourreau d’acier qui bat des éperons de fer. Bientôt un cavalier bien armé et monté sur un cheval vigoureux s’arrêta devant moi. J’ouvris les yeux.

— Holà ! l’ami, me demanda-t-il d’une voix rude, que faites-vous donc là ?

Ma longue barbe, mes habits usés et souillés de poussière, pouvaient