Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/781

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

idiomes étrangers ; ils ne tiennent pour vraiment sages et savans que ceux qui ont approfondi la loi, et qui peuvent interpréter les saintes Écritures dans toutes leurs difficultés et dans toutes leurs richesses parmi les Juifs, Josèphe était donc un bel esprit qui devait leur déplaire ; il leur était encore suspect par la conviction qu’il ne cachait pas, qu’une lutte ouverte contre Rome était insensée, et il finit par devenir l’objet d’une haine qui le précipita naturellement dans les bras des Romains. Si Josèphe n’eût pas su le grec, et s’il ne se fût pas rendu à Vespasien, les Juifs n’en eussent pas été moins vaincus, et nous serions privés d’un ensemble historique vraiment précieux. Non que nous ayons pour le fils de Mathias l’enthousiasme de quelques savans, entre autres de Joseph Scaliger[1], qui le proclame le plus véridique de tous les historiens, sans en excepter les écrivains de la Grèce et de Rome, mais l’esprit garde une impression profonde d’un récit historique animé, dramatique, parfois éloquent, qui s’ouvre, comme le Pentateuque, avec le commencement du monde pour se dérouler jusqu’au jour où Vespasien triompha des Juifs avec Titus ; immense narration dont le dénouement pathétique surpasse toutes les fictions de la poésie, et dont l’auteur pouvait s’écrier en déposant la plume :

… Satis una superque
Vidimus excidia, et captae superavimus urbi.

Avec la ruine de Jérusalem commence, non pas une autre captivité de Babylone, mais une dispersion à travers le monde. Il y eut une ville de fondation récente, Tibériade, qui, dans ces temps de calamité, devint pour les Juifs une nouvelle capitale. Il se rassembla à Tibériade un grand sanhedrin qui non-seulement dirigea les derniers efforts d’une résistance désespérée contre la domination romaine, mais encore publia sous une forme systématique les diverses interprétations de la loi, qui jusqu’alors n’avaient été transmises que par l’enseignement oral. C’est avec Tibériade que les Juifs répandus en Égypte, dans la Thébaïde cyrénaïque, sur les bords de l’Euphrate, à Babylone, étaient en rapports intimes et mystérieux. Au milieu même des progrès du christianisme dont les églises se multipliaient en Asie, en Afrique, en Europe, l’hébraïsme n’abdiquait ni ses dogmes ni ses espérances. Quand la chute du monde romain et la formation lente des nations modernes eurent ouvert à l’Occident de nouvelles destinées, l’Europe du moyen-âge fut envers le peuple de Moïse d’autant plus impitoyable que sa cruauté s’autorisait de la religion. Comment les chrétiens qui s’armaient pour la délivrance de Jérusalem et du tombeau du Christ n’eussent-ils pas

  1. De Emendatione temporum. — Dans quelques pages solides de l’Examen critique des historiens d’Alexandre, Sainte-Croix, sans citer Scaliger, démontre le néant de cette prétendue infaillibilité que ce dernier s’est avisé d’attribuer à Josèphe.