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faut signaler en passant, dans le siècle de Louis XIV, la traduction de l’historien Josèphe[1] par Arnauld d’Andilly, que celui-ci disait avoir refaite jusqu’à dix fois, qui répandit chez les gens du monde la connaissance des annales juives, et qui eut Racine pour lecteur. Comment parler des Juifs sans songer à l’auteur d’Esther et d’Athalie ? Après s’être assimilé Euripide, Tacite et Virgile, Racine s’appropria, par la double énergie du croyant et de l’artiste, ce que la poésie hébraïque a de pus sublime et de plus charmant. Le XVIIe siècle eut deux poètes qui, dans des situations bien contraires, s’inspirèrent du génie biblique avec la même puissance, Milton et Racine. Ce dernier a pénétré plus avant que personne dans l’intelligence de la théocratie juive sous les traits de Joad, elle est vivante, elle combat, elle prophétise, elle triomphe ; aussi, de l’autre côté du Rhin, les romantiques les plus prononcés ont été obligés de reconnaître que dans Athalie nous avions une tragédie aussi vraie qu’aucun drame de Shakspeare.

S’il était nécessaire d’apporter de nouvelles preuves de l’intime connexion de l’hébraïsme et du christianisme, nous les trouverions dans la haine qui animait Voltaire contre les Juifs. Sur ce point, Voltaire peut être comparé à Pascal par les contraires. C’est pour démontrer la vérité du christianisme que l’auteur des Pensées s’arrête si long-temps à l’histoire du peuple Juif et en signale l’originalité : l’auteur de l’Essai sur les mœurs des nations s’acharne sur cette histoire pour mieux attaquer la religion chrétienne dans ses origines, dans ses titres et ses monumens primitifs. Nous trouvons dans les lignes suivantes de Voltaire comme la parodie des considérations de Pascal : « On pourrait faire bien des questions embarrassantes, si les livres des Juifs étaient, comme les autres, un ouvrage des hommes ; mais, étant d’une nature entièrement différente, ils exigent la vénération et ne permettent aucune critique. Le champ du pyrrhonisme est ouvert pour tous les autres peuples, mais il est fermé pour les Juifs. Nous sommes à leur égard comme les Égyptiens, qui étaient plongés dans les plus épaisses ténèbres de la nuit, tandis que les Juifs jouissaient du plus beau soleil dans la petite contrée de Gessen. Ainsi n’admettons nul doute sur l’histoire du peuple de Dieu ; tout y est mystère et prophétie parce que ce peuple est le précurseur des chrétiens ; tout y est prodige, parce que c’est Dieu qui est à la tête de cette nation sacrée ; en un mot, l’histoire juive est celle de Dieu même, et n’a rien de commun avec la faible raison de tous les peuples de l’univers. » Cette ironie était à la fois pour Voltaire une arme et une sauvegarde : tout en protestant qu’il n’examinera ce qu’il y a de divin dans l’histoire des Juifs qu’autant que cela aura un

  1. L’historien Josèphe eut, au commencement du XVIIIe siècle, un savant continuateur dans Basnage.