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malheur aussi, quelquefois bretonnante. A voir les poètes armoricains errer la nuit sur leurs grèves désolées, on imaginerait l’ombre du chantre d’Elvire au clair de lune. M. Turquety célèbre l’amour et la foi, et sa muse a fort heureusement résolu un problème difficile pour tout bon catabolique ; elle s’est élevée jusqu’à la passion sans pécher contre le neuvième commandement. M. Morvonnais, auteur des Larmes de Madeleine, chante le ciel brumeux, les paysages attristés de sa terre natale, et depuis Rennes jusqu’à Brest, depuis Quimper jusqu’à Morlaix, tout fidèle Breton oppose avec orgueil ces deux écrivains aux plus grandes illustrations de la capitale.

Dans le Midi, deux écoles distinctes se présentent, et l’une d’elles, celle qui parle patois, a du moins l’originalité du langage Cette école compte de nombreux.disciples, parmi lesquels MM. Bonnet, tourneur à Beaucaire, auteur de Leis doux rivaoux de la Tartagou et de Leis Olympiens Demasqua ; Coumbettes, dit Coquel, tourneur et chansonnier à Castelnaudary ; Dastros, docteur en médecine, qui a publié des fables agréables dans les Mémoires de la Société académique d’Aix ; Dessanat fils, à qui l’on doit des chansons satiriques et bachiques, des pastorales, des épîtres politiques et un chant guerrier intitulé Vengenço nationalo vo la destruction d’Abd-el-Kader ; Daveau, coiffeur et poète lyrique à Carcassonne ; Louis Pélabon, auteur comique ; Jasmin, dont la réputation méridionale a reçu la consécration d’une ovation parisienne ; Dupuy, de Carpentras, auteur de lou Parpayoun, de Cocote et de la Besti doou bon Diéou, que Nodier admirait à l’égal des plus gracieuses idylles. M. Dupuy a traduit en outre en vers provençaux, et avec beaucoup de grace et d’énergie, plusieurs fables de La Fontaine, et la Mor de Priam, d’après le célèbre épisode de l’Enéide. Le journal le Tambourinairé, de Marseille, est le confident ordinaire de la plupart des poètes qui chantent en patois.

Les muses, on le voit, n’ont point complètement déserté le Parnasse occitanien, et souvent elles se montrent fidèles aux traditions du gai savoir ; il est même curieux de noter la puissance avec laquelle les instincts poétiques du moyen-âge se sont transmis à travers les populations modernes, et comment l’esprit des troubadours vit encore aujourd’hui dans la Provence et le Languedoc. Les enfans du Comtat, quand ils relevaient du domaine de saint Pierre, ne ménageaient guère les souverains couronnés de la tiare. Aujourd’hui qu’ils ont changé de maîtres, ils trouvent encore, contre les modestes autorités qui les régissent, la colère et les mordantes amertumes de la satire. On chansonne dans les villages le maire ; l’instituteur, quelquefois même le curé, comme on chansonnait autrefois le pape ou les barons, et les sirventes sont toujours le principal domaine de la muse provençale. Ajoutons que les patois méridionaux, comme instrument littéraire, ont une importance assez grande pour qu’on ait songé, il y a quelques années, à les discipliner, et à soumettre leur grammaire et leur orthographe à des règles générales et uniformes. Quelques personnes savantes tentèrent à cet effet de fonder à Valence, en 1837, une Revue néo-latine, qui eût rempli pour les idiomes vulgaires la même mission que l’académie della Crusca pour l’Italie. L’école française, dans le pays de la langue d’oc, n’est pas non plus déshéritée ; cette école se recommande par un sentiment de l’harmonie qu’on ne retrouve ni dans le nord, ni dans l’est, et qu’on chercherait en vain dans la Bretagne, ou les poètes, habitués au bruit des vents et au roulis des galets sur la