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III.

Depuis que l’amiral Jervis avait quitté la baie de Saint-Florent vers la fin de l’année 1796, la France était restée maîtresse absolue de la Méditerranée. Le contre-amiral Brueys, avec 6 vaisseaux de ligne et plusieurs frégates, avait pris possession des îles Ioniennes et des bâtimens vénitiens mouillés à Corfou ; du fond de l’Adriatique et de l’Archipel jusqu’au détroit de Gibraltar, on eût à peine rencontré un croiseur anglais. Cependant, après que l’escadre espagnole eut quitté Carthagène et se fut laissé bloquer dans Cadix, le pavillon britannique pouvait sans péril reparaître dans cette mer, qu’il nous avait un moment abandonnée. La cour de Naples, fort inquiète des nouvelles exigences du directoire et des grands préparatifs maritimes qui avaient lieu en ce moment dans les ports de la république, craignait d’être attaquée à la fois en Sicile et sur le continent. Entièrement livrée à la direction passionnée que lui imprimait la fille de Marie-Thérèse, cette cour ne cessait de réclamer auprès du cabinet de Saint-James l’envoi dans la Méditerranée d’une escadre assez considérable pour éloigner d’elle le double danger dont la menaçaient l’armée d’Italie et la flotte de Toulon. D’un autre côté, au moment où Nelson ralliait le comte de Saint-Vincent devant Cadix, le consul de Livourne informait cet amiral que le gouvernement français avait déjà rassemblé près de 400 navires dans les ports de Provence et d’Italie, et que cette flotte marchande, sous l’escorte des vaisseaux dont on pressait l’armement avec une rare activité, pourrait bientôt porter 40,000 soldats en Sicile ou à Malte, peut-être même jusqu’en Égypte. « Quant à moi, ajoutait ce consul, je ne regarde point cette dernière destination comme improbable. La dernière impératrice de Russie, Catherine II, avait déjà conçu un projet semblable, et si les Français ont l’intention, en débarquant en Égypte, de s’unir à Tippoo-Saïb pour renverser la puissance anglaise dans l’Inde, ce ne sera point le danger de perdre la moitié de leur armée en traversant le désert qui pourra les arrêter. »

L’amiral Jervis, ainsi prévenu de l’importance de l’expédition qui se préparait à Toulon, se décida à placer, le 2 mai 1798, sous les ordres de Nelson, trois vaisseaux, le Vangurd, l’Orion et l’Alexander, avec quatre frégates et une corvette. Nelson devait se rendre sur les côtes de Provence ou du golfe de Gênes, afin de chercher à pénétrer le but de cet immense armement. La division qu’il commandait était déjà partie de Gibraltar, quand parvinrent au comte de Saint-Vincent les instructions les plus secrètes, datées du jour même où il s’était séparé de Nelson. L’amirauté l’informait que le contre-amiral sir Roger Curtis avait reçu l’ordre de lui conduire un renfort considérable, et qu’aussitôt