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servit avec une ardeur singulière ; on n’a pas le droit de dire qu’il ne l’ait point servie de bonne foi. La violence avec laquelle il ouvrit sa polémique le signala tout de suite à l’attention générale, en même temps qu’elle soulevait l’opinion contre lui. Pas un des théologiens dont s’honore l’Allemagne savante n’eut le privilège d’échapper à ce brusque assaut. Les érudits, comme Gesenius, Wegscheider et de Wette, les administrateurs, comme Bretschneider et Röhr, surintendans du clergé à Gotha et à Weimar ; les philosophes, comme Schleiermacher et Jacobi, tous eurent le même sort, le dieu même du temps, le superbe Goethe, ne fut point épargné. La Gaztte évangélique ne put garder entièrement des prétentions si agressives ; elle était trop en avant du mouvement qu’elle préparait, et M Hengstenberg se vit abandonné de ses collaborateurs, notamment du doux et pieux Neander. C’était une condamnation qu’il passa d’abord sous silence et dont il appelle aujourd’hui, on va savoir avec quel fracas et quel succès.

Presque aussitôt après l’avènement de Frédéric-Guillaume IV, lorsque les esprits étaient encore exaltés par les promesses libérales de 1840, la Gazette évangélique recommença la guerre interrompue depuis quelques années, et haussa le ton, plus encore qu’elle ne l’avait jamais haussé. M Hengstenberg eut une idée féconde il résolut d’exploiter la religion au profit de la politique et la politique au profit de la religion, d’intéresser réciproquement le trône et l’autel à leur commune défense. La chose s’est vue souvent ailleurs ; elle était peu près neuve en Prusse. La législation prussienne a été rédigée sous l’empire de cette sage tolérance que le grand Frédéric professait à la fois comme maxime de philosophie et comme règle de gouvernement. Le pouvoir se déclare incompétent en matière de croyances dogmatiques, et n’assume qu’une seule obligation il doit veiller a ce que « les églises n’inspirent à leurs membres que des sentimens de respect envers la divinité, d’obéissance envers la loi, de fidélité envers l’état, de bienveillance et de justice envers leurs concitoyens » Du reste, « les notions particulières que les habitans du royaume peuvent concevoir au sujet de Dieu et des choses divines ne sauraient jamais devenir l’objet de mesures coercitives, » et, la liberté des cultes est assurée, sauf les garanties de simple police. Je traduis le texte même du code prussien (Allg. Preuss. Landrecht. Th. II, Tit. XI, §1-13) ; ces la paraphrase officielle du mot de Frédéric un mot très sérieux sous air de persiflage : Laissons chacun faire son salut à sa guise.

On ne songeait pas alors à cette alliance si fructueuse des deux principes d’autorité, l’autorité d’une relation surnaturelle dans le monde des consciences, l’autorité du gouvernement d’un seul dans le monde temporel. Le pouvoir était franchement absolu, et il ne sentait pas le besoin de cacher l’absolutisme derrière des théories. Dévot par dévotion