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n’y a que les incrédules qui prononcent fièrement ce vain nom d’état ; un sujet chrétien ne connaît que son roi et la race de son roi. Le grand désastre aujourd’hui, c’est que de si fidèles sujets se font rares ; les libertins multiplient, ainsi qu’on eût parlé chez nous au XVIIe siècle ; ce libertinage, qui, dans l’occident, a renversé les trônes et les ébranle encore, a déjà corrompu la morale publique, l’ordre social de l’Allemagne ; les classes supérieures, les classes inférieures, sont en proue au même vertige ; on prodigue trop d’instruction aux maîtres d’école, on ne les soumet pas assez étroitement à la direction des pasteurs ; il n’y a point assez de ces pieuses confréries qui disciplinent et assouplissent le bas peuple dans les pays catholiques. Ce qui manque surtout, ce qu’on regrette, c’est cette organisation savante et chrétienne dans laquelle la prudence trop méconnue de nos ancêtres avait réparti toutes les conditions et tous les rangs ; ce sont ces corporations industrielles, ces castes hiérarchiques où chacun trouvait une place fixe qu’il ne songeait point à déserter, la regardant comme établie de Dieu. On avait pied du moins sur un terrain solide ; le matérialisme n’était pas encore assez populaire pour abattre ces barrières respectées dans l’intérêt charnel de la production et de la consommation : le philosophisme aidant, tout est tombé ; on a détruit quand il fallait seulement réformer et vivifier. Tel est le langage que tiennent ces prétendus conservateurs, et en si beau chemin ils ne s’arrêtent pas. – La noblesse, disent-ils, a perdu ses droits de police, de justice et de patronage, droits trop saints pour s’accorder avec les théories libérales. L’édit du 9 octobre 1807, qui a émancipé les paysans, a déchaîné du même coup dans les campagnes l’égoïsme, l’envie et la cupidité. Ne voudrait-on pas maintenant émanciper aussi les Juifs ? Quoi ce personnage ridicule que vous trouverez en tous lieux bavardant et parlant toutes les langues, excepté la sienne ; cet officieux insupportable qui vise à cacher son origine sous ses banales complaisances, et garde au front son signalement, ce renégat qui cherche à prendre les airs du monde et ne saurait ni marcher, ni s’asseoir, ni danser, ni tirer sa bourse, sans que tout cela ne crie qu’il est Juif : ce n’est point assez de l’avoir accepté pour changeur, ou marchand, ou médecin ; vous en iriez faire un professeur, un juge, un magistrat, un général, un ministre ! passe encore s’il avait toujours sa longue barbe grise, son visage apostolique et son œil oriental comme au temps de ses bénédictions mais à présent qu’on laisse uniquement s’accomplir la justice de Dieu : il n’y a que l’impiété qui relève ceux qu’il a frappés et touche aux destinées qu’il a réglées. La pauvreté, par exemple, doit rester un état en dehors des autres ; encourager les pauvres avec la perspective ou l’espoir d’une existence meilleure, c’est leur ôter ce rude tempérament qui leur a été donné pour souffrir la misère, comme il a été donné à l’arbre une écorce