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plus épaisse sur le côté par où il regarde le nord. – Il faut donc secourir les pauvres pauvrement, ainsi que disait notre Pascal, qui ne songeait point cependant à prendre pour des règles d’état les scrupules de son humilité ; il faut les abandonner aux aumônes privées ; les institutions publiques, les caisses d’épargne, les secours légaux, ne sont qu’un appel à l’égoïsme. La charité des piétistes ressemble fort aux médecins qu’ils recommandent. On vante à Berlin la médecine chrétienne, comme on vante ici la médecine catholique, une médecine qui ne guérit pas, sous ce prétexte juif qu’on ne peut empêcher les enfans d’avoir les dents agacées quand leurs pères ont mangé des fruits verts[1].

J’avais déjà donné quelque idée de la réaction religieuse dans l’Allemagne du midi, j’ai voulu la dépeindre dans l’Allemagne du nord ; de sentimentale, elle devient ici officielle et doctrinaire ; l’instinct passe au système : que l’un serve à juger l’autre. Peut-être maintenant pourrai-je plus facilement expliquer ce vif débat où je trouvais alors la société berlinoire engagée. L’esprit moderne se ressemble trop en tous pays pour que de telles maximes si détestables ou si folles soient quelque part, acceptées sans contexte. Elles durent, elles règnent un temps, grace à la complicité du pouvoir ou de la mode ; c’est le triomphe qui les perd. Ce triomphe semblait à Berlin décisif et complet vers la fin de 1845 : le parti dont je viens de signaler la polémique dominait au su de tous le gouvernement lui-même, et les tendances que j’ai caractérisées l’étaient, bien davantage encore par les discours, par les actes répétés du ministère Le parti se constituait et s’avouait, il y avait dans l’état une faction qui s’élevait au-dessus de l’état et le réformait par ordonnance au nom de toutes les vertus chrétiennes. C’est une loi positive du code prussien (Allegem. Landrecht, Th. II, tit. II, § 45), « que la société religieuse n’a pas le droit d’imposer à ses membres des règles de foi contraires à leur à Breslau, le ministre des cultes, M. Eichhorn, ne craignait pas de dire ouvertement « que le temps était arrivé de maintenir la vraie croyance par les moyens les plus énergiques ; » il déclarait en propres termes « qu’il ne convenait pot à la direction suprême des affaires religieuses de rester dans l’indifférence, que son rôle était d’être partiale, tout-à-fait partiale (parteiisch, ganz parteiisch). » M. Eichhorn agissait en conséquence ; il ne voulait point que l’enseignement de la théologie s’aventurât en dehors du christianisme historique et positif, il lui donnait pour règle absolue le symbole même qu’il professait : Credo ut intelligam ; il prétendait forcer, pour ainsi

  1. Tout l’exposé qu’on vient de lire n’est qu’un résumé fidèle, souvent même une traduction littérale, des écrits et des journaux du piétisme berlinois. Il suffit quelquefois de laisser la parole à ses adversaires pour les combattre. Ce n’est pas notre faute si l’analyse dispensait ici de la critique.