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réussir, le bruit se répandit tout d’un coup que le magistrat, c’est-à-dire le conseil supérieur, le sénat de la cité, avait voté une adresse au roi et formulé de véritables remontrances sur la situation religieuse. Ce ne fut d’abord qu’une vague rumeur ; puis, ceux qui avaient eu le principal honneur de la rédaction se dénoncèrent eux-mêmes ; on signala bientôt telles influence sphilosophiqueq auxquelles la sagesse municipale avait obéi sans trop le savoir ; on reconnaissait à des signes certains la main d’un disciple de Hegel, et l’ombre du maître était, disait-on, revenue pour se venger de la proscription qui pesait sur elle. Les journaux du dehors apportèrent enfin le texte de l’adresse, qui datait du 22 août, mais ce fut seulement le 2 octobre que le roi reçut le magistrat et lui permit de réciter en personne ce singulier compliment. Le bruit en vint alors jusqu’à la presse française, et sembla bien étrange, tant on était peu préparé à nous expliquer cette controverse théologique engagée de pied ferme entre un roi absolu et une bourgeoisie mécontente. On n’a pas été généralement assez juste pour ce manifeste purement berlinois, et, faute d’en apprécier les causes, on en a diminué le caractère. Ce n’était pas seulement une dissertation pédantesque et verbeuse, verbosa et grandis epistola ; sur les lieux et dans le moment même où elle parut, on voyait bien que c’était l’écho fidèle de toutes ces opinions moyennes qui se font une place si sûre dans une population cultivée.

Le magistrat signalait donc à l’attention paternelle du monarque les mouvemens qui se produisaient de tous côtés dans la sphère des idées religieuses, mouvemens profonds et non point éphémères, qui ne demandaient qu’à se frayer un chemin régulier par les institutions publiques. – Deux partis s’étaient décidément formés, l’un s’appuyant sur l’ancien état de l’église comme sur l’inébranlable fondement d’un droit historique, l’autre soutenant que l’esprit saint qui constitue l’église véritable n’est pas plus inhérent à la tradition littérale qu’à l’autorité romaine ; qu’il suit, au contraire, les progrès de l’humanité, et se révèle à chaque âge selon son intelligence. C’était de ce côté-là que penchait ouvertement l’immense majorité des habitans éclairés de la première ville du royaume ; ils n’ignoraient pas combien il pouvait se mêler à ces tendances d’élémens étrangers et impurs, mais ils apercevaient au fond le grand principe de la liberté intellectuelle et chrétienne. Abjurer ce principe, c’était se faire catholique et condamner trois siècles de l’historie du monde. « Nous tenons ferme à notre christianisme, disaient les représentans du peuple berlinois, mais nous savons que ce christianisme, éternel et immuable quant à son essence, se renouvelle dans les ames, et se produit successivement dans la vie sous des formes différentes par la parole comme par la pensée. » Sur la limite d’une ère ancienne et d’une ère nouvelle, dans la crise que traversent aujourd’hui