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de la chambre haute, en sacrifiant des auxiliaires auxquels son patronage seul pouvait ouvrir l’accès du pouvoir.

Infaillible quant au but que se proposait le roi, la combinaison dont il s’agit n’avait qu’un défaut, c’est d’être inacceptable pour M. Rogier. M. Rogier n’avait-il pas, en effet, des ménagemens à garder vis-à-vis d’une fraction qui dispose des clubs, des loges maçonniques, de la plupart des journaux, d’un grand nombre de conseils communaux, de tous les moyens de propagande et de contrôle enfin auxquels l’opinion libérale doit ses miraculeux progrès ? Pouvait-il, sans les froisser, exclure du succès des hommes qui l’avaient adopté dans la défaite, et qui, en position de lui marchander leur concours, s’étaient effacés derrière lui, sacrifiant à l’intérêt commun leurs prétentions, leur passé, leur individualité politique ? C’est à quoi visait apparemment, sinon le roi, du moins la coterie qui dictait ses scrupules. M. Rogier esquiva assez adroitement le piège. S’enfermant dans la lettre morte des instructions royales, il consentait à former un cabinet en dehors des membres ultra-libéraux de la chambre ; mais, pour que ceux-ci ne pussent suspecter sa loyauté, il prenait pour programme de gouvernement le programme même de la coalition, dont il énumérait ainsi les points principaux : indépendance respective du pouvoir civil et du pouvoir religieux, principe qui trouverait notamment son application dans la loi de l’enseignement secondaire, — nomination par le roi du jury chargé de conférer les grades académiques, au lieu du mode actuel de nomination par les chambres, — retrait de la loi qui autorise le fractionnement arbitraire des collèges électoraux des communes, et avis préalable de la députation permanente (sorte de conseil de préfecture dérivant de l’élection) pour la nomination des bourgmestres en dehors des conseils. La première de ces clauses était l’expression des exigences communes aux deux fractions libérales ; la seconde formulait les concessions faites par les ultra-libéraux aux libéraux modérés. La troisième enfin mettait habilement en regard les concussions des libéraux modérés aux ultra-libéraux. Au début du ministère Nothomb, en face des tendances d’émancipation qui se manifestaient déjà dans les conseils, les catholiques, répudiant leur vieux programme de décentralisation en ce qu’il avait d’onéreux, avaient trouvé commode de déshériter l’initiative municipale au profit de l’initiative gouvernementale, qu’ils se croyaient désormais sûrs de diriger, et le groupe doctrinaire, soit pour prouver qu’il restreignait ses théories de centralisation dans les bornes des lois existantes, soit désir de payer les sacrifices récemment faits à ces théories par les ultra-libéraux, avait pris franchement fait et cause pour les droits de cette même liberté communale dont il avait autrefois combattu l’abus. De là cette troisième clause. L’empressement de M. Rogier à ériger en principe de gouvernement ce qui avait pu ne paraître