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semble gagner jusqu’aux doctrinaires, alliés systématiques de la couronne : dans les explications qu’il a été amené à donner sur la dernière crise, M. Rogier, l’homme le plus gouvernemental de son pays, amis une sorte d’habileté perfide à découvrir le roi. Elle a gagné jusqu’à ce petit groupe que son ultra-modérantisme laissait en-deçà des doctrinaires. M. de Brouckère, l’une des principales notabilités de la révolution, s’est démis de ses fonctions de gouverneur de la province de Liège, poste qu’il avait occupé même sous le cabinet Nothomb ; il s’est démis en déclarant qu’il n’entendait pas subir la direction donnée au pouvoir. MM. Osy et Dollez, jusqu’ici la neutralité même, ont mis presque autant de vivacité que M. Castiau dans leur désapprobation du choix royal. « Toujours on accorde le lendemain ce qu’il eût fallu donner la veille, » s’est écrié le premier, en menaçant le gouvernement des représailles des libéraux. Le second a été plus loin : « Au point où vous avez poussé les choses, ce n’est plus avec l’opposition des chambres, mais avec une autre que vous aurez à compter. » Un fait qui ne s’était pas encore produit depuis 1831, même à l’époque où l’abandon d’une partie du Limbourg et du Luxembourg exaspérait les masses contre le pouvoir, donnera la mesure de la gravité de cette question de l’enseignement si maladroitement envenimée par la couronne et du vide inquiétant qui s’opère autour de celle-ci. Dernièrement, à Tournay, où la cause et les résultats de la dernière crise ont un intérêt tout local, les habitans notables s’étant cotisés pour offrir un banquet à une corporation de la ville, les commissaires nommés par les souscripteurs ont décidé, à la majorité de sept voix contre deux, qu’il ne serait pas porté de toast au roi. C’est par surprise, et au grand scandale des libéraux de toute nuance, que ce toast a été porté.

J’ai dû insister sur ces faits, la plupart inaperçus, car ils sont un côté entièrement nouveau de la question intérieure. La position du roi était admirable. Dégagé vis-à-vis des catholiques par sa déférence passée à la loi du plus fort, par les concessions, les sacrifices qu’il avait su leur faire quand ils dirigeaient notoirement l’esprit national, protégé du côté des libéraux par le programme même de ce parti, il n’avait qu’à suivre le flot pour arriver sans froissemens, sans secousse, sans apparence de partialité, à s’assimiler l’opinion dominante : en un jour, le voilà refoulé à l’arrière-garde des vaincus, et, qui pis est, en s’aliénant des auxiliaires qui devaient être, en 1847, la majorité, il n’a pas même réussi à rallier aux droits du trône l’intolérante faction pour laquelle il s’est compromis. Jamais, on l’avouera, jamais calcul de neutralité constitutionnelle n’aura manqué plus diamétralement son but.

La grande erreur du roi des Belges, c’est de se croire toujours en 1831. Qu’à l’issue d’une révolution en partie dirigée contre l’ascendant protestant, il ait cru, lui protestant qu’un hasard diplomatique