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appelait à la représenter, devoir user de ménagemens sans nombre à l’égard de cette ombrageuse majorité dont chaque vote exprimait un soupçon ; que, pour la rassurer, il ait poussé la condescendance jusqu’à devenir l’auxiliaire des catholiques dans leur croisade contre les prérogatives royales ; qu’en 1834, par exemple, il ait prêté complaisamment la main à la chute du ministère Lebeau-Rogier, coupable d’avoir fait admettre, en dépit du radicalisme ultramontain, la participation du roi dans la nomination des magistrats municipaux ; que, plus récemment, à l’occasion d’un arrête qui soumettait les collèges du clergé à la surveillance indirecte du gouvernement, il ait sacrifié aux mêmes rancunes le cabinet libéral de 1840-41, cela se concevait encore. A défaut d’éclat, ce rôle de Pilate constitutionnel avait un faux air de profondeur et de finesse qui a pu séduire jusqu’aux libéraux ; mais, après le mouvement électoral de 1844-45, quand des résultats précis, mathématiques, ont d’avance marqué le jour et l’heure où cette majorité vermoulue tombera, quand, par un de ces déplacemens de force qui n’arrivent pas impunément deux fois en un règne, l’opposition peut s’intituler sans mensonge le pays, et que, du côté de celle opposition, sont l’intérêt, les garanties, la dignité de la couronne ; quand, pour ajouter enfin à ce concours d’heureuses nécessités, une question surgit, qui, en ne laissant au roi d’autre issue vers les ultramontains que la sanction d’exigences réactionnaires, illégales, lui offre une occasion naturelle de se mettre à la tête de cette opposition où de sûres alliances l’appellent et l’attendent, mais qui demain peut-être saura se passer de lui ; alors, dis-je, comment justifier ce fétichisme du cérémonial parlementaire, qui, entre la forme et le fond, entre l’abus et la loi, entre l’écueil et le port, va justement choisir ce que déconseillait la plus vulgaire habileté ?

Quant aux partis, leur situation respective reste pour le moment, et sauf les changemens que des causes tout-à-fait étrangères à la politique peuvent y apporter, comme je le dirai plus bas, ce qu’elle était en 1845 : plus fortement accusée, voilà tout.

La dernière crise, en prouvant aux ultra-libéraux la loyauté des doctrinaires, en ralliant d’autre part à la coalition le groupe ultra-modéré, a donné une consécration publique à l’accord tacite des trois fractions. Cet accord s’est déjà officiellement manifesté sur la question de la réforme électorale, cause première des anciens dissentimens du libéralisme. Les modérés, on s’en souvient, proposaient d’élever le cens des campagnes au niveau de celui des villes, à l’opposé des ultra-libéraux, qui veulent abaisser le cens des villes au niveau minimum du cens rural : ce dernier programme a été unanimement adopté dans un congrès qui, au mois de juin dernier, a réuni à Bruxelles les délégués de toutes les loges, de toutes les associations électorales du royaume,