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duquel la Prusse consentait à s’abstenir de toute agression. Cet arrêté, considéré en France comme un triomphe du cabinet de Berlin, consacrait donc en réalité le désistement de la Prusse, le désaveu diplomatique par lequel la Belgique venait de se soustraire à une alliance plus intime avec le Zollverein. La Prusse l’accepta parce qu’elle y vit des tendances anti-françaises ; la France le subit parce qu’elle y vit des tendances allemandes, tendances qu’elle craignait d’exaspérer et de motiver en se vengeant de l’injustice commise à l’égard de nos vins et de nos soieries. Exploitation gratuite des deux pays, rivalité des deux pays sur le marché belge que cette rivalité protégeait contre leurs essais respectifs d’envahissement, voilà le dernier mot de ces prétendues hésitations qui ont dupé tour à tour le cabinet prussien et le cabinet français.

Le sol était déblayé. Marchande avant tout, la Hollande, dont les échanges belges se balançaient, quoique réduits, par un boni annuel de 8 à 10 millions de francs, n’avait opposé aux premières agressions de la Belgique qu’un indifférent dédain, où celle-ci croyait voir un calcul d’impuissance. Sur la foi d’un antagonisme apparent, la France et la Prusse se contenaient l’une par l’autre. Des concessions qui n’engageaient aucune production belge, qui laissaient dès-lors le champ libre à toute innovation douanière, désintéressaient l’industrie des fontes et celle des lins dans les conséquences immédiates du système prohibitif. Plus tard, d’ailleurs, le gouvernement belge espérait les contre-balancer par les exigences protectionnistes des autres industries, au premier rang, celles des cotons et des laines, que des lois, des arrêtés, des encouragemens de toute sorte, étaient parvenus à développer. Les innombrables tisserands et fileurs à la main que l’industrie linière occupe dans les Flandres pouvaient seuls devenir un obstacle sérieux en traduisant par l’émeute l’opposition parlementaire des grands métiers ; mais les catholiques avaient paré à tout. Un territoire acquis aux extrémités de l’Amérique, à Guatemala, était prêt à recevoir cet incommode excédant de population. Les villes maritimes enfin, adversaires-nés de la protection manufacturière, mais ardentes à réclamer des privilèges de pavillon, reproduisaient contre la Hollande l’hostilité que la majorité des industries, favorables à l’alliance hollandaise, affichaient contre la France et le Zollverein. Tout concourait à détacher la Belgique de ses voisins, même les efforts du parti libéral pour généraliser le résultat opposé, c’est-à-dire l’abaissement simultané de toutes les frontières. Sous l’empire de ridicules défiances qui lui montraient et lui montrent encore dans chaque avance de l’étranger une arrière-pensée d’absorption exclusive, ce parti s’était fait le bénévole complice d’un système qui tendait doublement à l’amoindrir, et dans son influence morale, affaiblie dès qu’elle serait isolée, et dans l’avenir des chemins de fer, son grand titre à la considération du pays. Il ne restait plus qu’à