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grouper sous une apparente solidarité ces préjugés, ces intérêts épars. Ce fut l’objet de la loi des droits différentiels. Exclure les fabrications européennes pour laisser aux fabrications belges le monopole du marché intérieur et des envois transatlantiques, exclure les pavillons européens pour laisser au pavillon belge le monopole de ces transports transatlantiques, telle est la pompeuse formule sous laquelle la pensée intime et si long-temps mûrie des catholiques affronta la publicité.

C’était prendre les libéraux par leur côté faible. Créer une marine nationale, racheter l’infériorité continentale de la Belgique par cette expansion maritime qui donna jadis la suprématie à Venise, au Portugal, aux Pays-Bas, quel moyen plus sûr de forcer un jour la main aux grandes puissances européennes ! À ce prix, les libéraux acceptaient volontiers l’isolement. Les armateurs et les fabricans furent plus difficiles à convaincre, malgré l’habile confusion d’intérêts que réalisait le projet de loi des droits différentiels. Si le double système de protection contenu dans ce projet flattait les exigences manifestées isolément par ces deux classes d’intéressés, il impliquait des sacrifices mutuels auxquels chacune d’elles répugnait pour sa part à souscrire. Les armateurs jugeaient fort patriotique l’exclusion des pavillons étrangers ; mais, sans marchandises à transporter, disaient-ils, pas de marine, et il fallait, d’après eux, encourager l’importation et le transit. Les fabricans, de leur côté, proclamaient digne d’une nationalité qui se respecte la protection accordée à leurs produits ; mais ils réclamaient l’assimilation des pavillons étrangers au pavillon belge pour le transport des matières premières, ainsi que des denrées alimentaires dont le prix régit le salaire des ouvriers. Les efforts du ministère et de ses affidés amenèrent un compromis. Les manufacturiers obtinrent la surtaxe de toutes les fabrications européennes en général, sauf les exceptions consacrées par les traités existans, le maintien de l’ancien droit réduit en faveur de 180,000 kilogrammes de tabac et de 7 millions de kilogrammes de café importés annuellement sous pavillon hollandais, enfin un dégrèvement considérable des bois, des cuirs bruts, des graines de lin, des poissons, sans distinction de pavillon ou de frontière. On fit ensuite la part des armateurs. La déduction de 10 pour 100 dont jouissait la marine belge fut maintenue sur tous les produits non favorisés, à l’exception d’une vingtaine d’articles manufacturés ; mais, pour l’importation même de ces derniers articles, la marine belge était protégée contre les autres pavillons par un droit additionnel de 10 pour 100. Le pavillon belge était favorisé en outre d’une déduction de 20 pour 100 pour toutes les marchandises provenant des lieux situés au-delà du cap de Bonne-Espérance ou du cap Horn. Armateurs et fabricans, ceux-ci rêvant d’immenses débouchés transatlantiques, ceux-là spéculant d’avance sur des représailles européennes qui forceraient l’industrie belge