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la France et l’Angleterre était, pour la rendre publique, une occasion merveilleuse. C’est encore une satisfaction nouvelle qu’elles se sont donnée de faire coïncider la notoriété de leur coup d’état avec le refroidissement des deux cabinets de Londres et de Paris. Puisque les deux grands gouvernemens qui depuis 1830 avaient montré un bon vouloir constant pour la cause de la Pologne se trouvaient en désaccord momentané sur de grands intérêts, il était probable qu’ils ne s’entendraient pas sur les protestations et les remontrances à faire au sujet de Cracovie. Cet espoir n’a pas été déçu : la France et l’Angleterre protestent, mais sans concert, chacune de son côté.

Voilà donc sur une question d’isolement qui commence pour la France. Toute situation qui est marquée d’un caractère de nécessité doit être acceptée sans étonnement comme sans faiblesse. Du côté du continent, nous nous distinguons, depuis seize ans, surtout, des trois puissances du Nord par les principes de notre constitution politique, par l’esprit d’une révolution qui est le fondement et le titre de la monarchie de 1830. Depuis la même époque, la France a suivi à l’égard du continent une politique de sagesse et de modération ; elle a manifeste le désir sincère de respecter les traités et les conditions de la paix européenne. Loin de prendre, à l’égard des autres peuples et des autres gouvernemens, une attitude, une physionomie révolutionnaires, elle s’est attachée, tout en pratiquant chez elle les institutions dont elle est justement jalouse à ne donner aucun sujet légitime d’ombrage, d’inquiétude, aux trois puissances dont la religion politique est différente de la nôtre. Il plaît aujourd’hui aux trois cabinets de violer ouvertement ces traités que nous n’avons pas enfreints. Qu’est-ce à dire, si ce n’est qu’ils tombent dans la faute que nous avons su éviter ? Nous avons montré, depuis seize ans, que la France n’avait pas besoin de la violence pour affermir et étendre son autorité morale ; sans rien usurper, sans rien reprendre sur personne, elle a su grandir et prospérer. Il y a dans cette situation plus de force que ne seraient tentés de le soupçonner les gouvernemens absolus qui paraissent aujourd’hui en humeur de se passer leurs fantaisies La France n’est plus une nation révolutionnaire, mais un pays constitutionnel qui représente en Europe les intérêts et les principes les plus vrais de la civilisation moderne. Ces intérêts et ces principes, la France ne les abdiquera pas pour courtiser l’incertaine amitié des gouvernemens absolus : en agissant ainsi, elle se désarmerait, elle perdrait sa valeur morale. Elle ne fera pas la faute d’effacer les contrastes qui la séparent des représentans de l’absolutisme, contrastes qui la constituent et lui attirent tant de sympathies.

Du côté de l’Angleterre, l’isolement qui commence a d’autres raisons. Par quelle fatalité le concours de l’Angleterre nous manque-t-il -toujours, lorsqu’une grande question s’élève en Europe ? Quoique l’affaire de Cracovie ait éclaté au milieu de la mésintelligence qui règne aujourd’hui entre la France et l’Angleterre, nous sommes loin de blâmer le gouvernement français d’avoir proposé au cabinet britannique de protester en commun contre la résolution des trois puissances. En effet, M. Guizot, aussitôt après avoir reçu communication officielle de cette résolution, a invité M. de Jarnac à voir lord Palmerston et à lui demander son concours pour une protestation qui serait faite au nom des deux cabinets de Londres et de. Paris. Sans opposer à cette demande un refus formel, lord Palmerston fit connaître à notre chargé d’affaires qu’il avait déjà