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il voulut insister, plaider lui-même la cause du malheureux vieillard : Nelson l’écoutait, pâle et silencieux. Par un effort soudain il domina son émotion « Allez, monsieur, dit-il brusquement au jeune officier, allez, et faites votre devoir ! » Réduit à une dernière espérance, Caracciolo pria le lieutenant Parkinson de tenter une démarche auprès de lady Hamilton ; mais lady Hamilton avait fermé sa porte et ne sortit de sa chambre que pour assister aux derniers instans du vieillard, qui avait fait un inutile appel à son humanité. L’horrible exécution eut lieu, ainsi que Nelson l’avait prescrit, à bord de la frégate la Minerve, mouillée sous les canons du Foudryant, et le comte de Thurn en adressa à l’amiral anglais ce rapport sommaire, comme s’il eût voulu renvoyer à qui de droit la responsabilité de ces odieux détails : « Si da parte à su eccellenza l’ammiraglio lord Nelson, d’essere stata eseguita la sentenza di Francesco Caracciolo nella maniera da lui ordinata[1]. » Le corps de Caracciolo resta suspendu à la vergue de misaine de la Minerve jusqu’au coucher du soleil. La corde qui avait mis fin à ses jours fut alors coupée, et son cadavre, jugé indigne de la sépulture, fut abandonné au milieu du golfe. Cet acte sauvage accompli, Nelson en consigna la mémoire dans son journal, au milieu des événemens de mer et ainsi qu’il l’eût fait d’un incident ordinaire.


« Samedi, 29 juin. — Petite brise. — Temps couvert. — Le vaisseau portugais la Rainha et le brick le Balloon mouillent sur rade. — Assemblé une cour martiale. — Jugé, condamné et pendu Francesco Caracciolo, à bord de la frégate napolitaine la Minerve. »


Quel étrange égarement raffermissait donc ainsi ce cœur troublé ? A travers quel prisme mensonger Nelson pouvait-il envisager cette exécution barbare pour n’y voir qu’un acte régulier de justice militaire ? Qui l’avait chargé de prendre en mains la vengeance de la cour de Naples ? Qui l’avait autorisé à soustraire à la clémence royale un vieillard qu’elle eût peut-être sauvé ? Pourquoi cette initiative, pourquoi cette précipitation funeste, pourquoi ce meurtre inutile ? Les massacres dont Naples fut bientôt le théâtre excitèrent en Europe une réprobation générale ; mais cet horrible épisode vint jeter un éclat plus lugubre encore sur la part qu’avait prise Nelson à ces malheureux événemens : Fox, le premier, dénonça au parlement ces excès de la légitimité, dont la honte, par un manque de foi sans exemple peut-être dans les fastes de la guerre, avait rejailli jusque sur le pavillon britannique. Nelson sentit où portait cette attaque et voulut se justifier ; mais, mieux inspirés, ses amis supprimèrent sa protestation.


« Les rebelles, disait l’amiral, n’avaient obtenu qu’un armistice, et tout contrat

  1. « Son excellence l’amiral lord Nelson et prévenu que la sentence de Francesco Caracciolo a été exécutée de la façon qu’il avait ordonné. »