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tranquillement étendu, plein de confiance dans l’honnête paysan qui me conduisait. Je ne comprenais point leurs paroles ; leurs gestes n’étaient rassurans qu’à demi, et je ne savais trop qu’en penser, lorsque mon guide me dit de crier : Jivio ! et que tout serait fini. Je ne connaissais point le sens de ce mot ; mais je constatai tout de suite qu’il en devait avoir un profond et magique, car je l’eus à peine prononcé, que mes brigands de comédie changèrent de ton et de procédés. Ils se mirent à jeter leurs chapeaux en l’air en signe de joie, et crièrent à leur tour : Jivio ! Jivio ! Mon voiturier m’expliqua que c’était le mot d’ordre, le cri de ralliement, le vivat des Illyriens, et, le passage étant libre, il fouetta vigoureusement ses chevaux, qui ne s’arrêtèrent que devant la porte d’une hôtellerie, à l’enseigne du Cor de chasse.

J’étais donc à Agram, au cœur même de l’Illyrie. J’appris en arrivant que la congrégation ou diète de Croatie et de Slavonie était assemblée, et qu’une grande effervescence régnait depuis quelques jours dans la ville. Cela me promettait un spectacle intéressant pour tout le temps de mon séjour en Croatie.


II.

Le lendemain, je fus sur pied de bonne heure et j’eus promptement parcouru dans tous les sens la petite ville d’Agram[1]. Plusieurs fois assaillie par les Turcs, elle n’a conservé des anciens temps que des ruines qui n’ont rien de pittoresque. Ses églises sont d’une architecture moderne et pesante. Toutefois Agram ne présente ni le sombre aspect des vieilles villes, ni la régularité des villes nouvelles de l’Allemagne ; ses rues, bordées de maisons basses, sont larges et tortueuses ; ses places immenses peuvent contenir, au besoin, des masses assemblées. A la prendre dans son ensemble, la situation d’Agram est gracieuse et riante. La ville, adossée à un coteau et échelonnée sur ses flancs, regarde au sud et au sud-est ; du haut de ses promenades, l’œil plonge sur les plaines qui vont aboutir aux monts de la Bosnie et de la Serbie, et la pensée s’élance naturellement jusqu’aux derniers confins de l’Illyrie méridionale. A peu de distance, on découvre le cours sinueux de l’un des grands fleuves nationaux, de la Save, dotée, il y a quelques années, d’un pyroscaphe qui, sous le nom slave de Sloga (concorde), va porter chaque semaine, dans la capitale des Serbes, des pensées d’union et de commune espérance.

Après avoir ainsi, en voyageur consciencieux, pris connaissance de la topographie d’Agram, j’entrai au Café national. C’est l’endroit très fréquenté où se donnent rendez-vous, chaque matin et chaque soir, les vrais patriotes illyriens et bon nombre des députés de la congrégation

  1. Le nom illyrien d’Agram est Zagreb, et son nom latin Zagrabia.