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qu’assez faiblement ; seulement, dans les cantons catholiques où ils n’avaient pas encore pénétré, on se mit en garde contre leurs tentatives de propagation, et, dans le canton même de Fribourg, des hommes religieux d’une école toute différente parvinrent à donner quelque consistance au système d’éducation populaire conçu par un digne et laborieux cénobite, le père Girard. Du reste, les jésuites acquirent promptement l’affection des villes où ils avaient fondé leurs écoles ; effectivement, ils en augmentaient l’aisance matérielle, et en même temps ils y ménageaient soigneusement les influences qu’ils trouvaient établies et qu’ils croyaient capables de les seconder.

Il y avait beaucoup plus d’agitation dans le sein de l’église protestant. Deux principes, dont l’antagonisme entretient le mouvement et la vie dans le monde religieux, donnaient en même temps l’assaut au système de doctrine et de gouvernement ecclésiastique que la confession helvétique avait sanctionné après le synode de Dordrecht, et qui régnait, sensiblement mitigé par des théologiens du dernier siècle[1], dans les églises françaises de Genève et de Vaud. Les progrès du socinianisme, lequel empruntait en général aux dissertations allemandes le langage métaphysique d’un rationalisme savant, firent, par opposition, revivre chez plusieurs pasteurs, et rendirent chères à plusieurs troupeaux, l’intégrité des principes, l’austérité des méthodes du vieux calvinisme, tandis que les églises officiellement unies à l’état penchaient de plus en plus vers l’indécision des croyances et le relâchement de la discipline. Des congrégations séparées surgissaient de toutes parts. Dans quelques-unes de celles-ci, l’exaltation de la pensée s’unissait à la violence du langage et déterminait des actes d’un fanatisme inquiétant, mais il y en avait bien peu qui méritassent ce reproche ; en général la science théologique, la pratique rigide de la morale évangélique, l’assiduité à la prière, caractérisaient les membres de ces associations indépendantes que des préjugés vulgaires poursuivaient d’appellations odieuses ou ridicules. Les gouvernemens cantonaux ne les voyaient nulle part de bon œil, parce qu’elles dérangeaient l’ordre officiel et la régularité du service dans ce qu’ils considéraient comme une branche de l’administration publique. La lutte entre l’autorité politique et les congrégations dissidentes s’envenima tellement dans le pays de Vaud, que, le 20 mai 1824, une loi empreinte de l’intolérance la moins déguisée fut décrétée contre les congrégations. Leurs pasteurs résistèrent, et des actes qui constituaient une véritable persécution vinrent attrister cette belle contrée. En définitive, l’issue de ce débat fut celle de tous les conflits qu’on a vu ou qu’on verra s’engager entre la force matérielle et la liberté

  1. Principalement par Alphonse Turrettini.