Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/1112

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

calme ; je la laissai vivre d’une vie qui ressemblait à une mort. Au bout de quelques heures pourtant, j’approchai des lèvres de Mme Meredith une cuillerée de potion que j’avais jugée nécessaire. Eva tourna lentement la tête du côté opposé et resta appuyée loin de la main qui lui présentait le breuvage. Quelques instans après, je revins à la charge.

— Buvez, madame, lui dis-je, et de la cuillère j’effleurais doucement ses lèvres ; ses lèvres restèrent fermées.

— Madame, votre enfant ! repris-je à demi-voix.

Eva ouvrit les yeux, se souleva péniblement, s’appuya sur son coude, se pencha vers la boisson que je lui présentais, la prit ; puis elle retomba sur son oreiller :

— Il faut que j’attende qu’une autre vie soit séparée de la mienne ! murmura-t-elle.

Depuis lors, Mme Meredith ne parla plus, mais elle obéit machinalement à toutes mes prescriptions. Étendue sur son lit de douleur, elle semblait éternellement dormir ; mais, à quelque moment que ce fût, quand de ma voix la plus basse je lui disais : « Soulevez-vous, buvez ceci, » elle obéissait au premier mot ; ce qui me prouvait que l’ame veillait dans ce corps immobile sans trouver un seul instant d’oubli et de repos.

Je fus seul à m’occuper des funérailles de William. On ne sut jamais rien de positif sur la cause de sa mort. On ne trouva pas sur lui l’argent qu’il devait rapporter de la ville ; peut-être avait-il été volé et assassiné, peut-être cet argent, donné en billets, s’était-il échappé de sa poche au moment d’une chute de cheval. Et comme on ne pensa que fort tard à essayer de le retrouver, il n’était pas impossible que la pluie de la nuit l’eût fait disparaître dans la terre fangeuse et les herbes humides. On fit quelques perquisitions qui n’eurent aucun résultat, et bientôt on cessa toute recherche à cet égard. J’avais essayé de savoir d’Eva Meredith s’il n’y avait pas quelques lettres à écrire pour prévenir sa famille ou celle de son mari. Je pus difficilement lui arracher une réponse. Enfin je parvins à comprendre qu’il fallait seulement prévenir leur homme d’affaires, qui ferait ce qu’il était convenable de faire. J’espérais donc que, d’Angleterre du moins, il arriverait quelques nouvelles qui décideraient de l’avenir de cette pauvre femme ; mais non, les jours succédèrent aux jours, et personne sur la terre ne sembla savoir que la veuve de William Meredith vivait dans un isolement complet au milieu d’un pauvre village. Plus tard, pour essayer de rappeler Eva au sentiment de l’existence, j’avais désiré qu’elle se levât. Le lendemain du jour où je donnai ce conseil, je la trouvai debout, vêtue de noir c’était l’ombre de la belle Eva Meredith. Ses cheveux étaient séparés en bandeaux sur son front pâle. Elle était assise près d’une fenêtre, et restait immobile comme elle l’avait été dans son lit.