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tâche entreprise et retomber avec accablement sur elle-même, ne demandant plus au ciel que de la résignation. Elle laissa les livres, les gravures, la musique, tous les moyens enfin qu’elle avait appelés à son secours ; elle devint abattue et silencieuse ; seulement, si cela était possible, elle fut plus tendre encore pour son fils. Quand elle cessa de croire qu’elle lui rendrait les chances d’aller dans le monde, de se faire des amis, d’acquérir une position, elle sentit en même temps que son enfant n’avait plus qu’elle sur la terre ; elle demanda à son cœur un miracle, celui d’augmenter l’amour qu’elle lui portait déjà. Cette femme devint l’esclave, la servante de son fils ; toute son ame ne songea plus qu’à le préserver d’une souffrance, d’une gêne quelconque. Si un rayon de soleil frappait le front de William, elle se levait, inclinait le rideau, amenait l’ombre au lieu du jour trop vif qui avait fait baisser les yeux de son enfant. Si elle se sentait atteinte par le froid, c’était à William qu’elle portait un vêtement plus chaud ; si elle avait faim, c’était pour William qu’elle allait cueillir les fruits du jardin ; si elle se sentait fatiguée, c’était à lui qu’elle avançait le grand fauteuil et les coussins moelleux ; enfin elle s’écoutait vivre pour deviner les sensations de la vie de son fils. C’était encore de l’activité, ce n’était plus de l’espérance.

Mais William atteignit onze ans : alors commença une dernière phase de l’existence d’Eva, Meredith. William, prodigieusement grand et fort pour son âge, cessa d’avoir besoin de ces soins de chaque instant qu’on donne aux premières années de la vie ; ce n’était plus l’enfant qui s’endormait sur les genoux de sa mère ; il se promenait seul dans l’enceinte du jardin, il montait à cheval avec moi, il me suivait volontiers dans mes courses de montagne ; enfin l’oiseau, quoique privé d’ailes, quittait son nid.

Le malheur de William n’avait rien d’effrayant ni de pénible à voir. C’était un jeune garçon, beau comme le jour, silencieux, calme comme on ne l’est pas sur cette terre, dont le regard n’exprimait rien que le repos, dont la bouche ne savait que sourire ; il n’était ni gauche, ni disgracieux, ni importun ; c’était une ame qui dormait à côté de la vôtre, n’ayant nulle question, nulle réponse à vous faire. Mme Meredith n’eut plus, pour occuper sa douleur, cette activité de la mère qui est encore restée nourrice ; elle revint s’asseoir près de cette fenêtre d’où elle voyait le hameau et le clocher de l’église, à cette même place où elle avait tant pleuré son premier William. Sa figure pâle se tournait vers l’air extérieur, comme pour demander au vent qui soufflait dans les arbres de donner aussi un peu de fraîcheur à son front ; ses bras, allongés à ses côtés, s’inclinaient sans force, comme les bras oisifs ou fatigués qui n’ont plus rien à faire sur cette terre.

L’espérance, les soins à donner, tout lui manquait successivement ;