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pouvait voir de loin ce pays qu’elle avait aimé. Elle tenait son fils dans ses bras, et baisait son front, ses cheveux, en pleurant tristement :

— Pauvre enfant ! que deviendras-tu ? Oh ! disait-elle avec amour, écoute-moi, William : je me meurs ! ton père est mort aussi ! te voilà seul ! Il faut prier le Seigneur ; je te donne à celui qui veille sur le passereau solitaire sur les toits : il veillera sur l’orphelin. Cher enfant, regarde-moi, écoute-moi ! Tâche de comprendre que je meurs, afin de te souvenir un jour de moi !

Et la pauvre mère, perdant la force de parler, gardait encore celle d’embrasser son enfant.

En ce moment, un bruit inusité frappa mes oreilles. Les roues d’une voiture faisaient crier le sable des allées du jardin. Je courus vers le perron. Lord J. Kysington et lady Mary entraient dans la maison.

— J’ai reçu votre lettre, me dit lord J. Kysington ; j’étais au moment de partir pour l’Italie ; cela m’éloignait peu de ma route de venir moi-même régler le sort de William Meredith : me voici. Lady William ?…

— Lady William Kysington vit encore, milord, lui répondis-je.

Ce fut avec un sentiment pénible que je vis entrer dans la chambre d’Eva cet homme calme, froid, austère, suivi de cette femme orgueilleuse qui venait être témoin d’un événement heureux pour elle : la mort de son ancienne rivale. Ils pénétrèrent dans cette petite chambre, simple, modeste, si différente des beaux appartemens de l’hôtel de Montpellier. Ils s’approchèrent de ce lit sous les rideaux blancs duquel Eva, pâle et belle encore, tenait son fils appuyé sur son cœur. Ils se placèrent l’un à droite, l’autre à gauche de ce lit de douleur, et ne trouvèrent pas une parole affectueuse pour consoler cette pauvre femme dont le regard se levait vers eux. Quelques phrases glacées, quelques mots sans suite, s’échappèrent à peine de leurs lèvres. Assistant pour la première fois au douloureux spectacle d’une agonie, ils en détournèrent les yeux, et, se persuadant qu’Eva Meredith ne voyait ni n’entendait, ils attendirent simplement qu’elle fût morte, sans même donner à leur visage une expression d’emprunt de bonté ou de regret. Eva fixa sur eux ses regards mourans, et un effroi subit s’empara de ce cœur qui battait à peine. Elle comprit alors ce qu’elle n’avait pas compris pendant sa vie, les sentimens cachés de lady Mary, la profonde indifférence, l’égoïsme de lord J. Kysington. Elle comprit enfin que c’étaient là les ennemis et non les protecteurs de son fils. Le désespoir, la terreur, se peignirent sur son pâle visage. Elle n’essaya pas d’implorer ces êtres sans ame. D’un mouvement convulsif, elle approcha William plus près encore de son cœur, et, rassemblant toutes ses forces :

— Mon enfant, mon pauvre enfant ! s’écria-t-elle dans un dernier baiser, tu n’as pas un seul appui sur la terre ; mais là-haut Dieu est bon. Mon Dieu ! viens au secours de mon enfant !