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est un peu le même. Certaines œuvres n’ont pu se produire que dans les régions supérieures où la distinction s’allie naturellement à l’élégance. Comme Ourika, le Médecin du Village est une de celles-là. En sortant de ce château de Burcy, encore tout ému, on se souvient involontairement d’une autre résidence qui porte un nom illustre dans l’histoire, et où un homme d’état, dont la noble intelligence comprend toutes les supériorités, se plaît à réunir ce que les lettres et la politique comptent de plus éminent. N’est-ce pas là que ces gracieuses pages ont dû être écrites ? n’est-ce pas là qu’elles ont dû rencontrer tout d’abord les encouragemens, les sympathies d’élite auxquels de nouveaux suffrages vont se joindre aujourd’hui ?

Outre le Médecin du Village, le recueil que nous avons sous les yeux contient une autre nouvelle qu’on nous reprocherait de ne pas faire connaître. Ici encore nous trouvons des qualités d’autant plus dignes d’être signalées, qu’elles sont aujourd’hui plus rares. On sait trop ce qu’est devenu entre les mains de certains improvisateurs le cadre gracieux du roman. En présence des combinaisons étranges et puériles qui se disputent encore et ne font que lasser la curiosité du public, il y a vraiment plaisir à se retrouver, avec l’auteur du Médecin du Village et d’Une Histoire hollandaise (tel est le titre du second récit que renferme le volume), dans les vraies limites du genre, telles que les fixait en France, dès le XVIIe siècle, toute une lignée de glorieux et charmans conteurs. Ce sentiment précieux des conditions du roman est un trait distinctif chez l’aimable écrivain. Dans chacun de ces récits, nous avons pu remarquer une tendance heureuse à simplifier l’action, à tirer l’intérêt, non du mouvement et de la complication des faits, mais de la peinture fidèle et de l’analyse éloquente des sentimens. Ce qui, dans Une Histoire hollandaise, suffit à captiver, à retenir l’attention du lecteur, ce sont les luttes, les souffrances ignorées d’une pauvre fille sur laquelle un père implacable se venge d’un soupçon contre la fidélité de sa mère. La mère et la fille, Annunciata et Christine, s’inclinent souffrantes et brisées sous cette main redoutable. Les deux victimes s’appuient en gémissant l’une sur l’autre ; mais la plus à plaindre des deux, ce n’est pas la fille. Christine, à côté de sa mère, trouve du moins un autre soutien : c’est l’amour d’un cœur noble et fier comme le sien, amour qu’elle partage, et qui, seul avec l’affection maternelle, jette un doux rayon sur sa triste jeunesse. Un jour vient cependant où Christine perd à la fois ces deux appuis. Sa mère, frêle Espagnole, meurt de chagrin sous le ciel froid de la Hollande. Une tentative de fuite, qui devait réunir Christine à son amant, n’aboutit qu’à replonger la malheureuse enfant dans une captivité plus étroite. Les portes d’un cloître se ferment sur elle, et dès-lors une partie singulièrement touchante s’ouvre dans le roman. On suit ou plutôt on devine une transformation inattendue. La vie du couvent se déroule devant la jeune fille avec une terrible monotonie. D’abord le silence et l’isolement ne font qu’irriter la plaie encore saignante ; peu à peu cependant le calme semble renaître dans cette ame blessée. Cinq ans se passent, et le sacrifice paraît accompli. Christine va devenir la sœur Marthe-Marie. Tout à coup un hasard inespéré rouvre devant elle les portes du couvent. La nonne est entraînée hors de la sombre enceinte ; elle est ramenée près de son amant ; elle revoit les lieux où ils ont aimé, où ils ont souffert. Cette fois, elle n’a qu’un mot à dire, et ce mot, qui la rendra au monde, portera aussi la