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ÉLÉMENS CARLOVINGIENS LINGUISTIQUES ET LITTÉRAIRES, par M. J. Barrois[1]. — Pour les esprits curieux du mystère et de l’inconnu, la linguistique, comme la philosophie, est une science attrayante, attendu qu’en ce qui touche la formation du langage et la filiation des idiomes la certitude absolue échappera toujours. Qu’on étudie, en effet, la question au simple point de vue philosophique, on se trouve, dès les premiers pas, en présence des systèmes les plus contradictoires : les uns veulent que l’homme ait créé et graduellement perfectionné le langage, comme la musique ou la géométrie ; les autres, qu’il ait reçu la parole par une révélation divine, avec une grammaire et un vocabulaire tout faits, et qu’il ait parlé comme les oiseaux chantent. Cette dernière opinion, outre l’autorité de de Maistre et de Bonald, a pour elle la tradition orthodoxe ; mais, soit qu’on l’adopte, soit qu’on la repousse, quand il faut en venir aux preuves historiques, les sceptiques et les croyans finissent toujours par se rencontrer au pied d’une tour de Babel. La difficulté qui surgit à l’origine des temps pour la création du langage dans la grande famille humaine se représente dans l’histoire particulière de chaque peuple : on étudie les dialectes, les patois, les noms propres d’hommes et de lieux ; on dépense beaucoup de temps, beaucoup de science, souvent même beaucoup de pédantisme, pour faire un système ; l’énigme paraît résolue, et, à quelques années de là, surgit un système nouveau, qui disparaît bientôt pour faire place à d’autres. Ainsi en est-il advenu pour l’histoire de la langue française. Au moyen-âge, on use et on abuse des mots, sans s’inquiéter d’où ils viennent. Le XVIe siècle, plus curieux, commence, avec Henri Estienne, les investigations étymologiques, et, tout imbu d’études classiques, ce grand siècle rattache, au moyen des Massaliotes, la langue française à la langue d’Homère. En fait de généalogie, les peuples, comme les individus, ont une vanité chatouilleuse ; la théorie de Henri Estienne fut accueillie favorablement, et l’on rappela avec orgueil ces mots de Caton l’Ancien : Gallica gens duas res industriosissime prosequitur, rem militarem et argute loqui. Les hébraïsans eurent bientôt leur tour : Guichard, Thomassin, Bochart, réclamèrent pour l’hébreu la paternité du langage français ; puis on abandonna la. Terre Sainte pour l’Italie, et Caseneuve, Leduchat, Ménage, adoptèrent presque exclusivement les étymologies latines. Pezron chercha d’autres voies, et, le premier, il s’inquiéta des origines de la langue celtique, qu’il croyait avoir retrouvée dans la Bretagne et le pays de Galles. Bullet reprit en sous-œuvre les travaux de Pezron, et s’appliqua à reconstituer le celtique, d’après ce qui en reste dans l’irlandais, le bas-breton, et même, s’il fallait l’en croire, dans le basque. Le celtique une fois retrouvé, Le Brigant et son disciple Latour d’Auvergne marchèrent, ainsi que l’a dit Nodier, à la conquête de la langue universelle par le bas-breton. Jusque-là, on n’avait bâti que des hypothèses, et le mérite de replacer la question sur le terrain de l’érudition sérieuse appartenait à M. Amédée Thierry, qui établit, d’après des textes fort plausibles, qu’au lieu d’une langue celtique il en existait au moins deux : l’une, le kymrique, parlée par les Belges et subsistant encore dans le pays de Galles et la Bretagne ; l’autre, la langue des Celtes ou Gaëls, habitant le centre des Gaules, laquelle est encore en usage en Écosse et en Irlande.

Ces données linguistiques étant admises, il reste à éclaircir une foule de ques-

  1. Un vol. in-4o. Paris, 1846, chez J. Renouard, rue de Tournon.