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Nous attendîmes une dernière éruption, qui fut magnifique. Comme pour nous dire adieu, les trois bouches jouèrent simultanément, et, reflétant la clarté rougeâtre des laves, la triple enceinte du cratère apparut encore une fois à nos regards. Nous prîmes alors sur la droite une de ces routes qui, entièrement formées de sable fin, facilitent la descente autant qu’elles rendent l’ascension pénible. Notre guide nous assura que sur ce versant de la montagne il n’existait pas une seule pierre, et, sur la foi de ses paroles, M. Edwards et moi partîmes au galop, laissant bien en arrière nos compagnons plus circonspects. Cette course avait quelque chose d’étrange. Le sol noir absorbant les pâles rayons des étoiles, la nuit était tellement sombre, que j’entrevoyais à peine la veste blanche du guide à trois pas en avant. Emporté par mon élan, par la pente de la montagne, je me sentais aller sans fatigue, mais sans but et comme dans un songe, au milieu de ces épaisses ténèbres, sur ce sol qui fuyait sous les pieds. En dix minutes, nous fûmes au bas des cendres. Ici, il fallut marcher avec la plus grande prudence, et le reste de la route se fit littéralement à tâtons. Nous touchions, sans les voir, des sentiers abrupts, des rochers que nous descendions de marche en marche. Enfin, nous atteignîmes sans accidens la plage, où nous rejoignit, au bout d’une demi-heure, le reste de la caravane. Sans perdre de temps, nous montâmes en bateau pour aller voir le volcan de la mer. Ce point de vue ne vaut pas l’autre. Le cratère est trop éloigné du spectateur. On distingue, il est vrai, comme un bouquet de feu d’artifice, la gerbe de matières brûlantes projetées par le volcan ; mais la scène n’a plus ce caractère grandiose que lui prêtent d’en haut et la fumée incandescente s’élevant en tourbillons, et la triple enceinte des vieux cônes dont les flancs noirs rougissent à la lumière de l’éruption.

Malgré ce léger mécompte, nous n’eûmes pas à regretter notre expédition nocturne. La mer se chargea du dédommagement en nous montrant, dans toute sa splendeur, le phénomène de sa phosphorescence. Pendant plus d’une heure les flots semblèrent s’embraser autour de nous, comme s’ils eussent emprunté à Stromboli les feux que recèlent ses flancs. Les vagues, en déferlant sur les rochers du rivage, les ceignaient d’une bordure lumineuse ; le moindre écueil avait son cercle de feu. Notre barque semblait s’ouvrir un passage à travers une matière en fusion et laissait au loin derrière elle un sillage marqué d’une traînée de lumière. Chaque coup d’aviron déployait au sein des eaux un large éventail d’argent. L’eau, puisée dans un seau, présentait en coulant l’aspect du plomb fondu. Partout, sur ce fond brillant d’une lumière calme, s’allumaient et s’éteignaient tour à tour, par myriades, d’éblouissantes étincelles verdâtres, ou des globules de feu rougeâtres. Ces étincelles, ces globes, étaient autant de petits