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croupe Ingeburge et disparut avec elle. À cette nouvelle, l’interdit fut levé, le concile se dispersa, et le roi fut ainsi débarrassé des remontrances du clergé. Agnès mourut de douleur dans un château de Normandie, deux mois après son abandon. Quant à Ingeburge, malgré la manière toute chevaleresque dont le roi l’avait enlevée, elle fut bientôt délaissée une seconde fois. Le pape eut beau écrire à Philippe lettres sur lettres et lui recommander de se préparer à l’accomplissement des devoirs conjugaux par la prière, par les neuvaines, par les cérémonies de l’église ; le roi se déclara ensorcelé et refusa long-temps d’obéir aux ordres du saint-siège. Ce ne fut que dix ans après la mort d’Agnès qu’Ingeburge fut définitivement rétablie dans ses droits de reine.

Tel est, dans sa réalité nue, l’épisode choisi par M. Ponsard. J’ai négligé à dessein tout ce qui se rapporte à la politique extérieure de Philippe, et en particulier à ses relations avec l’Angleterre. Henri II et Richard Cœur-de-Lion étaient morts. Jean Sans-Terre était pour le roi de France un rival beaucoup moins redoutable, car il n’avait ni la ruse de Henri, ni le courage de Richard. J’ai émis volontairement toute cette partie du règne de Philippe, parce qu’elle ne se rattache pas d’une façon directe au sujet. Je ne sais si je m’abuse, mais il me semble qu’il y a dans les élémens que j’ai passés en revue tout ce qui peut servir à la composition d’un drame intéressant et varié. La cour, le clergé, le peuple, sont aux prises. Autour de Philippe, d’Agnès et d’Ingeburge, viennent se grouper naturellement le légat, les évêques, les barons, les communes naissantes. Il y a dans cette lutte de l’autorité royale contre le clergé, la noblesse et la volonté populaire, dans le combat de la politique et de la passion, tout ce qu’il faut pour intéresser, pour émouvoir le spectateur. Voyons comment M. Ponsard a interprété l’histoire.

L’auteur d’Agnès de Méranie n’a pas accepté la donnée historique dans toute sa franchise. Parmi les élémens que nous avons indiqués, il a fait un triage tellement sévère, tellement dédaigneux, que d’élimination en élimination, il est arrivé tout simplement à garder le roi en supprimant le royaume. Et qu’on ne prenne pas cette déclaration pour un jeu de mots, pour une fantaisie de langage ; qu’on ne croie pas que nous opposons le roi au royaume avec le seul désir de faire à M. Ponsard une chicane puérile et sans fondement : l’analyse de sa tragédie, acte par acte et scène par scène, démontre surabondamment ce que j’avance. Où est le clergé de France dans Agnès de Méranie ? À quelle heure, en quelle occasion paraît-il sur le théâtre ? Il n’est pas question de lui un seul instant. À ne consulter que la tragédie de M. Ponsard, on dirait que le clergé de France est resté neutre entre Ingeburge et Agnès de Méranie, entre Innocent III et Philippe-Auguste. Pourtant nous savons qu’il n’en est rien, et que le clergé de France a joué dans cette affaire un rôle important, un rôle actif et dont le poète devait tenir compte. À quelle