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cabinet de parler le plus tôt possible domine tout. Les plaintes et les protestations du gouvernement anglais ont eu un tel retentissement, que le ministère doit être impatient d’opposer à ces reproches les faits et les raisons sur lesquels il fonde l’espoir de sa justification. Il a d’ailleurs, comme nous l’avons dit, une majorité à raffermir, à éclairer : il faut qu’il lui fasse accepter et sanctionner, par une adhésion éclatante, la situation nouvelle dans laquelle il se représente aujourd’hui devant les chambres. La tache est ardue et complexe. On ne parlera pas moins à l’Angleterre qu’à la France : sans irriter davantage nos voisins, il faut leur démontrer les torts qu’a eus envers nous l’administration whig.

Il y a long-temps que le discours de la couronne n’a eu autant d’importance sous le rapport des questions extérieures. Le gouvernement y donnera la mesure de ses inquiétudes ou de sa fermeté au milieu des conjonctures délicates où nous sommes. Nous espérons trouver dans les paroles que le ministère mettra dans la bouche du roi un ton calme et digne. Il y a deux faits principaux qu’il ne faut songer ni à dissimuler ni même à amoindrir, le mariage de M. le duc de Montpensier et le coup d’état qui a frappé Cracovie. L’irritation manifestée par lord Palmerston ne saurait empêcher le gouvernement français d’attacher au double mariage toute sa valeur politique. Si on était tenté de s’exprimer sur ce point avec quelque timidité, il faut songer que, par cette faiblesse, on se compromettrait gravement, et qu’on donnerait de terribles armes aux adversaires du double mariage. Quelle est la thèse de ces derniers ? Ils disent que le résultat obtenu est fort mince, et, quand ils le comparent aux conséquences fâcheuses qu’il a amenées, ils triomphent. Ils triompheraient bien davantage si, dans le discours de la couronne, on craignait d’insister sur le caractère véritable de cette affaire. Un langage sans franchise et sans fermeté serait donc une faute sérieuse. Quant à la spoliation dont Cracovie a été la victime, comment le gouvernement français, qui depuis seize ans a montré pour une nation malheureuse une sympathie persévérante, serait-il muet aujourd’hui ? Ce silence étoufferait-il le cri de réprobation qui va retentir dans les deux chambres ? D’ailleurs, il y a là un fait nouveau qui oblige plus encore le gouvernement français d’élever la voix. Lorsqu’après 1830 Varsovie succombait, c’était les armes à la main, et la perte de sa liberté était l’inévitable conséquence de la défaite de l’insurrection. En 1846, c’est en pleine paix, sans qu’il y ait eu révolte de la part du petit état de Cracovie, qu’il a été déclaré déchu de ses droits par la fantaisie omnipotente des trois cabinets de Saint-Pétersbourg, de Vienne et de Berlin : ce n’est plus une lutte où le plus fort triomphe ; c’est un acte de bon plaisir qui outrage la justice et viole les traités. Qu’au moins la France et son gouvernement aient pour une pareille conduite un blâme qui ne craigne pas de se produire et des paroles d’une tristesse sévère.

Sur ce point, il sera curieux de comparer le langage des deux gouvernemens de la France et de la Grande-Bretagne. Lord Palmerston est dans une situation singulière. Personne en Europe n’a parlé plus haut que lui en faveur de l’indépendance de Cracovie ; il a même cet été exprimé l’espoir que bientôt les trois puissances mettraient fin à quelques mesures exceptionnelles qui entravaient cette indépendance. Entre la vivacité de ces paroles et le ton plus réservé de M. Guizot sur le même sujet, on a établi une comparaison qui était alors tout en l’honneur du ministre anglais. Aujourd’hui lord Palmerston semble s’apercevoir