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REVUE DES DEUX MONDES.

Voilà une esquisse des différences profondes qui séparent la conscience des sens, les faits psychologiques des faits sensibles, la méthode des sciences naturelles de celle qui appartient en propre à la philosophie. L’école écossaise a proclamé la vraie méthode ; elle l’a appliquée avec sincérité, et souvent avec finesse et avec bonheur, à l’analyse des facultés de l’aine ; mais elle n’en a bien connu ni le génie propre, ni la haute portée, ni les plus grandes applications. C’est par là qu’elle se rattache, comme l’école de Kant, à l’esprit dominant du XVIIIe siècle, c’est-à-dire à un esprit d’empirisme et de scepticisme contre lequel elle proteste, mais qu’elle subit. En signalant ce commun défaut, plus ou moins déguisé, dans deux glorieuses écoles dignes de tous nos respects ; M. Cousin marque avec fermeté sa propre direction philosophique. Il emprunte à Kant et à Reid leur méthode, ou, pour mieux dire, il les rappelle l’un et l’autre à la méthode véritable, que tous deux ont héritée de Descartes, mais dont ils n’ont fait que des applications tantôt infidèles et tantôt insuffisantes. Pratiquée avec plus de largeur et d’exactitude par des philosophes élevés à la grande école de l’histoire, éclairés par les erreurs de leurs pères et affranchis désormais de leurs passions et de leurs luttes, la méthode de Descartes devient capable de fonder une métaphysique aussi ample que le cœur et l’esprit de l’homme, qui satisfasse à tous ses besoins et réponde à tous ses vœux, qui explique les orageuses vicissitudes de son passé, et justifie en la réglant son immortelle aspiration vers le bonheur et vers le bien. Telle est la pensée qui domine cette forte critique de l’école allemande et de l’école écossaise, et, en général, tout l’enseignement de M. Cousin. Les philosophes ne seront pas les seuls à goûter ses leçons : tous les amis de la langue française y admireront un style que la maturité seule d’un éminent écrivain a pu porter à ce degré de correction savante et d’exquise pureté.

— Parmi les obstacles qui s’opposent en France au progrès des études allemandes, il faut compter au premier rang la difficulté même d’une langue dont le génie capricieux se prête singulièrement aux innovations et aux témérités individuelles. Il a fallu le double concours d’une vaste érudition et d’une rare patience pour dénombrer et classer dans le Dictionnaire de l’abbé Mozin les richesses un peu confuses du vocabulaire allemand. Aujourd’hui, cependant, le fruit de tant d’efforts pouvait être perdu si on ne réussissait à mettre le Dictionnaire Mozin au niveau de la génération actuelle. Revoir et augmenter ce volumineux lexique, c’était une tâche qui pouvait à bon droit effrayer plus d’un philologue, et devant laquelle, cependant, un savant professeur de l’université de Tubingue, M. Peschier, n’a pas reculé. Grace à lui, le Dictionnaire Mozin[1] redevient un ouvrage usuel, un guide précieux pour la connaissance des deux langues. L’auteur de ce curieux travail a rendu un vrai service à tous ceux qui, sur les deux rives du Rhin, s’attachent à resserrer les rapports des littératures française et allemande. La réimpression du Dictionnaire Mozin est d’ailleurs exécutée avec le soin qui recommande toutes les publications de la librairie Cotta.



V. de Mars.
  1. Dictionnaire complet des langues française et allemande, par l’abbé Mozin. 3e édition ; revue et augmentée par M. Peschier ; 4 vol. in-4o, librairie Cotta, à Stuttgart.