Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/208

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui avait enlevées pendant la guerre ; des possessions ravies à nos alliés, elle ne conservait que la Trinité et Ceylan, faible accroissement de territoire qui ne semblait rétablir qu’imparfaitement l’équilibre entre les deux puissances ; mais, si la France avait reculé ses frontières sur le continent, l’Angleterre de son côté avait acquis l’empire absolu des mers. Par des efforts prodigieux, elle avait porté son matériel naval à 189 vaisseaux de ligne ; celui de la France était descendu à 47. Sur ces 189 vaisseaux, l’Angleterre en comptait 126 à flot ; les ports français en renfermaient 36 à peine. Dans cette augmentation de la marine anglaise, 50 vaisseaux de ligne, capturés sur la France et sur ses alliés, figuraient déjà pour une part considérable, et pourtant ce chiffre de 50 vaisseaux ne comprenait qu’une partie des pertes que nous avions subies dans cette guerre malheureuse, car ces pertes s’élevaient à 55 vaisseaux de ligne pour la France, à 18 pour la Hollande, à 10 pour l’Espagne et à 2 pour le Danemark. En regard de ces 85 vaisseaux capturés ou détruits, les sacrifices de la marine anglaise méritaient à peine d’être mentionnés. De 1793 à 1802, l’Angleterre n’avait perdu que 20 vaisseaux : 15 avaient péri par accident, 5 seulement étaient tombés entre les mains de l’ennemi. Tel était le bilan déplorable de la grande guerre. La guerre de partisans, si souvent recommandée au directoire, nous avait-elle du moins offert des résultats plus heureux ? Plus d’une fois, durant le cours de ces longues hostilités, nous avions modifié l’emploi de nos forces navales : nous n’avions jamais modifié l’organisation de nos vaisseaux. En dépit de cette fatale incurie, le dévoûment de nos marins n’était pas toujours resté stérile ; cependant, malgré quelques glorieux triomphes, la fortune sur ce nouveau terrain avait encore trompé notre espoir. Après avoir entraîné nos alliés dans cette voie funeste, et livré aux croisières ennemies 184 frégates, 224 bricks ou corvettes, 950 corsaires, 6,200 bâtimens de commerce par la dispersion de nos forces, après avoir vu le gouvernement, pour conserver quelques matelots, obligé d’interdire la course à nos armateurs, nous nous étions trouvés accablés, mais non pas éclairés par tant de désastres. Pour la première fois, sur cette terre qui avait produit Duguay-Trouin et Suffren, mettant follement en oubli la gloire immortelle de trois règnes, on avait osé proclamer que les Français n’étaient point faits pour la guerre de mer ; le bruit même du canon victorieux d’Algésiras n’avait étouffé qu’à demi cette injuste et décourageante opinion.

Bonaparte trouva donc les forces navales de la France dans un état voisin d’une ruine complète, quand il entreprit de les faire concourir à ses vastes desseins. Le projet qu’il avait formé de conduire ses légions en Angleterre s’était considérablement agrandi dans sa pensée depuis la paix d’Amiens ; la flottille, composée de plus de 2,000 navires, était devenue une armée. Il n’est point douteux que la réunion de pareils