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appeler ses vaisseaux dans la Manche, voulait que son pavillon et celui de ses alliés dominât sur toutes les côtes de l’Andalousie et dans le détroit de Gibraltar. Il calculait qu’il devait y avoir près de 36 vaisseaux réunis à Cadix et regardait comme impossible que l’ennemi eût déjà rassemblé des forces aussi considérables dans ces parages. La flotte combinée devait donc s’approvisionner de six mois de vivres dans le plus court délai et se mettre en état de prendre la mer. L’empereur prescrivait à Villeneuve, dès que la flotte serait ainsi ravitaillée, d’assurer la jonction des 8 vaisseaux mouillés à Carthagène ; ces vaisseaux plus d’une fois avaient mis sous voiles pour se rendre à Cadix, mais ils en avaient été empêchés par la crainte de rencontrer, à la sortie du détroit, une escadre anglaise.


« L’intention de l’empereur (écrivait l’amiral Decrès à Villeneuve, en lui envoyant ces nouvelles instructions) est de chercher dans les rangs, quelque place qu’ils y occupent, les officiers les plus propres à des commandemens supérieurs ; et ce qu’il exige par-dessus tout, c’est une noble ambition des honneurs, l’amour de la gloire, un caractère décidé et un courage sans bornes… Sa majesté veut éteindre cette circonspection qu’elle reproche à sa marine, ce système de défensive qui tue l’audace et qui double celle de l’ennemi. Cette audace, elle la veut dans tous ses amiraux, ses capitaines, officiers et marins, et, quelle qu’en soit l’issue, elle promet sa considération et ses graces à ceux qui sauront la porter à l’excès. Ne pas hésiter à attaquer des forces inférieures ou égales même et avoir avec elles des combats d’extermination, voilà ce que veut sa majesté ! Elle compte pour rien la perte de ses vaisseaux, si elle les perd avec gloire. Elle ne veut plus que ses escadres soient bloquées par un ennemi inférieur, et, s’il se présente de cette manière devant Cadix, elle vous recommande et vous ordonne de ne pas hésiter à l’attaquer. L’empereur vous prescrit de tout faire pour inspirer ces sentimens à tous ceux qui sont sous vos ordres, par vos actions, vos discours, et par tout ce qui peut élever les cours. Rien ne doit être négligé à cet égard ; sorties fréquentes, encouragemens de toute espèce, actions hasardeuses, ordres du jour qui portent à l’enthousiasme (et sa majesté veut qu’on les multiplie et que vous m’en fassiez l’envoi régulier), tout doit être employé pour animer et exalter le courage de nos marins. Sa majesté veut leur ouvrir toutes les portes des honneurs et des graces, et ils seront le prix de tout ce qui sera tenté d’éclatant. Elle se plait à penser que vous serez le premier à le recueillir, et, quels que soient les reproches qu’elle m’a ordonné de vous faire, il m’est flatteur de pouvoir vous dire en toute sincérité que sa bienveillance particulière et ses graces les plus distinguées n’attendent que la première action d’éclat qui signalera votre courage. »


Cette dépêche, dont la source élevée se révèle à chaque pas, ce magnifique langage qui porta tant de fois l’enthousiasme dans nos rangs, font aisément comprendre comment Villeneuve livrait, un mois plus tard, la bataille de Trafalgar. L’empereur reconnaissait enfin le danger de ces opérations sinueuses, de ces plans détournés dont un chef peut